Comme beaucoup d’autres designers, Robert Melville a découvert sa vocation très jeune. Alors qu’il a passé son enfance entouré de voitures, il a décidé d’unir le monde de son père ingénieur et celui de sa mère artiste, en devenant designer. Fan inconditionnel du Defender, il a réussi à convaincre Land Rover de le parrainer pour intégrer le prestigieux Royal College of Art. Après avoir commencé sa carrière chez la firme britannique, il a fait un passage par General Motors, où il s’occupait de Cadillac, avant d’être contacté par McLaren. Recommandé par un ancien employeur, Robert Melville a intégré la firme des supercars de Woking en 2009. Après des années de dur labeur, il a été promu en 2015, pour devenir le designer en chef de McLaren. Nous avons rencontré ce jeune talent, qui vit de sa passion et dont le parcours sans faute fait rêver. Faites plus ample connaissance avec Robert Melville.
Comment est née votre passion pour l’automobile ?
Je dois avouer que j’ai hérité du virus de mon père et de mes 2 frères ainés. Nous étions tout le temps en train de parler et de lire à propos d’automobiles, de dessiner et de réaliser des maquettes de voitures. Bien évidemment, nous étions également des fans inconditionnels des émissions automobiles ! Nous rendions ma mère folle, à chaque fois.
Comment avez-vous su que vous vouliez devenir designer ?
Quand j’étais enfant, j’adorais dessiner et réaliser des maquettes. Donc, pour moi, devenir designer était tout simplement aller jusqu’au bout de ma passion! Il faut dire que j’ai eu de la chance, car ma mère était artiste et mon père ingénieur et pour moi le design est l’endroit où l’art et la science se rencontrent.
Vous avez étudié le design automobile au Royal College of Art. Aviez-vous en tête à l’époque l’endroit où vous vouliez travailler?
Mon job de rêve à l’époque, c’était au sein de Land Rover! J’étais et je suis toujours, un grand fan du Defender. J’aime le design fonctionnel, combiné avec des proportions parfaites. C’est une approche de conception extrêmement honnête. Son but et son utilité sont clairement reflétés dans sa forme.
C’est avec cet amour pour le Defender que j’ai approché Land Rover, au cours de mes études pour mon bachelor à l’Université de Huddersfield. J’ai passé quelques entretiens et ils ont accepté de me parrainer pour aller au Royal College of Art!
Vous avez commencé votre carrière chez Jaguar Land Rover. Qu’avez-vous appris de cette expérience?
Je faisais partie d’une très petite équipe de conception avancée. Nous étions responsables de la production de la stratégie de conception, de l’identification des opportunités de produits futurs et de la production de visuels et de modèles à fort impact, pour vendre nos idées.
En règle générale, nous étions amenés à travailler sur les projets dix ans avant les programmes de production. Nous avons étudié les tendances, les matériaux, les processus et les technologies, pour identifier les besoins futurs en matière de mobilité et de produits.
La pensée de conception était la compétence principale que j’avais développée. Trouver le concept et la fonction qui pourraient nous donner au préalable des informations quant à l’apparence finale du produit.
Grâce à cette expérience, j’ai appris que la conception automobile n’était pas le travail d’un seul homme. Il faut mobiliser une équipe entière travaillant de concert, pour livrer des produits aussi complexes.
À cette époque, quel projet vous a le plus marqué et pourquoi?
Il y avait deux projets qui ont marqué mon passage chez Land Rover. L’un était un projet auto-initié pour un petit Range Rover sportif et l’autre, mon thème de Range Rover «L405». Ce sont les deux projets qui se distinguent, parce que cette combinaison a permis de donner naissance à l’Evoque. Outre l’idée de produit, la «face avant» était probablement la partie la plus réussie du design. Voir que cela a continué d’évoluer jusqu’à devenirl’identité de l’entreprise est un sentiment indescriptible.
Parlez-nous de votre expérience chez General Motors. Vous avez travaillé pour Cadillac. Que faisiez-vous au juste ?
General Motors a été une expérience très enrichissante, mais difficile. Tout comme chez Land Rover, il s’agissait d’un petit studio de conception avancée, basé au Royaume-Uni. Notre rôle était de donner unetouche européenneà la conception des produits américains. Nous avons travaillé sur toutes sortes de véhicules, que ce soit des voitures citadines, des SUV et des voitures de sport aux solutions de mobilité futures, pour toutes les marques. La diversité et l’expérience étaient juste incroyables.
Le projet clé à ce moment-là, c’était la Cadillac Convert. J’étais Senior designer sur ce projet et j’ai eu la chance de choisir mon thème extérieur.
Mais s’il y a bien un projet que je garde en mémoire de mon passage chez Cadillac, c’est sans conteste la voiture hybride Cadillac Land Speed Record! J’avais fait un croquis de concept en tant que vitrine technologique et le directeur l’aimait tellement que nous avons fini par réaliser un modèle. GM à Detroit a soutenu le projet et nous avons recruté une partie de l’équipe de record de vitesse terrestre de JCB pour nous conseiller. L’équipe était en construction et les choses progressaient très rapidement, mais GM a fait faillite et malheureusement, ce projet n’a jamais vu le jour. Les designers finissent par s’habituer à ce sentiment!
Vous avez rejoint McLaren Automotive en 2009. Qu’est-ce que cela a signifié pour vous?
Cela a supposé énormément de choses pour moi!Je me rappelle parfaitement que c’était un vendredi soir et j’étais encore au travail dans le studio de design GM. J’étais couché sur le sol et je couvrais le diffuseur arrière sur un modèle d’argile Cadillac à taille réelle. J’ai failli ne pas prendre cet appel
Quand ils m’ont dit que c’était McLaren, je n’arrivais pas à y croire. J’ai eu la chance qu’un ancien employeur m’ait recommandé. Travailler sur la prochaine F1 et ensuite sur le portefeuille complet de McLaren était de loin le travail de mes rêves. Inutile de préciser que ce week-end là, j’ai complètement refait mon portfolio et je suis parti chez McLaren le lundi pour l’entretien ! Le reste, c’est de l’histoire!
Vous avez travaillé sur la 720S, présentée l’année dernière au Salon de Genève. Pouvez-vous nous en dire plus sur les processus de développement?
La 720S était un modèle destiné à remplacer la 650S. Donc le brief était très clair … nous devions en faire un impressionnant ‘second opus’. La voiture devait donc en quelques sorte briser tous les codes et rompre avec le passé. Performance, maniabilité, engagement, un panel de capacités et bien sûr un aspect esthétique. Des qualités qui nous ont valu le titre du constructeur de supercar le plus avancé.
Ma vision incluait quelques objectifs clés. Tout d’abord, une visibilité à 360 degrés, grâce à l’utilisation intensive du vitrage et de la structure supérieure en carbone mince (pilier vitré). Créer une identité de super série unique, en incorporant les phares dans le système aérodynamique («orbites»), pour enfin amener la superposition de panneaux à un tout nouveau niveau sur la 720S, pour littéralement faire décoller la voiture. En utilisant les surfaces pour guider élégamment l’air à travers et autour de la voiture, pour maximiser le refroidissement et la force d’appui (les portes à double peau «les branchies»).
La voiture devait ressembler à un morceau de sculpture technique sans couture rétrécie et enveloppé par tout l’arsenal d’ingénierie nécessaire.
Tout simplement, le processus consiste à comprendre, explorer et créer. C’est un processus très rapide, durant lequel nous utilisons une combinaison d’outils pour développer les conceptions.
Typiquement, nous commençons par définir les attributs et les points les plus primordiaux. Ensuite, nous faisons une phase d’esquisse pour générer des thèmes.
Les meilleurs thèmes sont ensuite développés en tant que modèles d’argile à l’échelle et en CAS (surfaçage assisté par ordinateur), afin que nous puissions vérifier les exigences de l’outillage et légales, ainsi que faire des tests aérodynamiques, assistés par ordinateur.
Le thème gagnant est ensuite usiné, dans un modèle d’argile grandeur nature. Nous passons ensuite 9 mois à développer des surfaces et à résoudre des problèmes techniques. Pendant ce temps, nous passons progressivement par des boucles de développement de 12 semaines, devenant de plus en plus détaillées au fur et à mesure.
Cela aboutit à une passerelle d’approbation de conception, où le design final est présenté au conseil d’administration.
Pour passer de la conception à la production, tous les principaux systèmes ont été éprouvés et toutes les autres améliorations doivent être à moins de 3 mm de la conception approuvée.
Le seul moyen de livrer à notre clientèle des produits aussi avancés est de travailler en équipe. Vous devez comprendre et respecter les exigences de tous les domaines et parfois faire des compromis, pour obtenir la meilleure solution complète pour le produit. Travailler ensemble est la façon qui nous a permis de créer un design aussi beau que fonctionnel.
En tant que directeur du design McLaren, quelles sont vos priorités ?
Notre priorité est de créer des produits à couper le souffle, qui racontent l’histoire visuelle de leur fonction. Nos conceptions doivent être authentiques. Chaque élément est là pour une raison et pas seulement pour remplir une fonction purement esthétique.
Pour y parvenir, ma priorité est de toujours avoir une vision claire, mais surtout partagée avec mes collaborateurs. Il faut avoir cette culture fantastique de laisser les gens se sentir capables de faire preuve de courage, de prendre des risques et d’innover. Vous devez laisser les créateurs créer. Avec cette approche, l’équipe est habilitée, motivée et concentrée sur la livraison de conceptions qui changent les règles du jeu.
Comment travaillez-vous avec la division F1, pour le développement des modèles de série?
J’avoue que nous sommes proches et que le personnel se déplace entre les différentes divisions, mais nous ne travaillons pas directement avec l’équipe de F1 sur nos modèles de série. Le plus gros changement a eu lieu en 2009, lorsque le directeur de l’aérodynamique de F1 a rejoint notre division, pour contribuer au développement de la P1. Il est maintenant notre chef de la technologie.
Quels sont les défis futurs pour les constructeurs de supercars en général, et McLaren en particulier?
Certains disent que personne n’a vraiment besoin d’une supercar et ils ont peut-être raison, mais nous apportons beaucoup d’innovations pertinentes au monde de l’automobile, qui influenceront la mobilité quotidienne. Par exemple, des matériaux solides, rigides et légers, un aérodynamisme efficace et avancé, des groupes motopropulseurs avec des rapports puissance/poids incroyables et des composants électroniques perfectionnés, qui améliorent la sécurité et la technologie des véhicules.
Toutes ces choses sont pertinentes pour les futurs problèmes auxquels la société est confrontée en matière de mobilité.
Comment voyez-vous votre avenir au sein de cette entreprise?
L’avenir s’annonce très brillant. Il n’y a pas de limite pour McLaren et presque tout a déjà été dessiné. À l’heure actuelle, en tant que membre de l’équipe de direction, mon avenir immédiat sera de continuer à relever les défis et de repousser les limites de ce qu’est une supercar.
En tant que groupe élargi comprenant McLaren Racing et McLaren Applied Technologies (qui couvrent tout, des systèmes de contrôle de la circulation aérienne aux innovations médicales, qui changent la vie en passant par l’équipement sportif olympique comme le bobsleigh et le vélo), nous avons les compétences et les outils nécessaires pour changer le monde.
Quels sont vos futurs projets?
Nous avons de nombreux projets passionnants en développement. Je peux notamment citer la BP23, notre GT ultime trois places, qui est très élégante et magnifique! En ce qui concerne les autres projets, je crains que vous ne deviez attendre un peu pour les découvrir !