Né en 1965 au Pérou, Luc Donckerwolke a découvert sa passion pour l’automobile très jeune, grâce à un livre. Voulant devenir pilote au départ, le dessin a fini par l’emporter. Après avoir vécu dans plusieurs pays, c’est au sein de l’antenne européenne de l’Art Center College of Design qu’il fait de brillantes études. Embauché par Audi, il a passé plus de vingt ans chez le Groupe Volkswagen, où il a travaillé pour les différentes marques. Luc Donckerwolke a notamment dessiné la Murcielago ou la Gallardo en 2003, ainsi que le concept car EXP10 Speed 6, lancé par Bentley en 2015. Ce fut un de ses derniers projets avant de prendre la tête du design de Genesis. Partant d’une feuille blanche, Donckerwolke a pu définir librement les codes stylistiques de la nouvelle marque. Aujourd’hui, il est à la tête du design du groupe qui compte les marques Genesis, Hyundai et Kia et sa passion est toujours intacte, comme il nous l’a prouvé lors de son entretien. Rencontre avec un homme qui est né pour dessiner des voitures et dont les réalisations marqueront pendant très longtemps le monde de l’automobile.
Considérez-vous avoir hérité de la passion pour l’automobile ou est-ce que ça vous est venu tout seul ?
À l’ âge de 4 ans à Bujumbura, au Burundi , j’étais en convalescence et mon père m’ a ramené un album Michel Vaillant: “Le Grand Défi”, qu’ il avait acheté, ne trouvant pas un album Tintin. C’est à partir de ce moment-là que j’ai eu un déclic et que j’ai voulu devenir pilote de course automobile. 10 ans plus tard, c’est un autre livre qui n’a fait que raviver ce désir. J’étais à Dakar au Sénégal et j’ai reçu «les Porsche de série et de compétition» de Paul Frère.
Avez-vous toujours rêvé d’être designer automobile ?
Mon enfance en Afrique et en Amérique du sud : Pérou, Burundi, Panama, Paraguay, Sénégal, Rwanda, Bolivie, Guinée Bissau, ne m’a pas permis de devenir pilote. Par contre, je dessinais des voitures de sport, qui ne faisaient pas forcément partie du paysage automobile local à l’image de la Porsche 911 ou de la Lamborghini Countach, sans savoir réellement que j’étais en train de me préparer pour mon futur métier.
Comme vous venez de le dire, vous avez vécu dans beaucoup de pays. Comment ces différentes cultures ont-elles inspiré vos designs ?
Je pense que le fait d’être confronté à beaucoup de cultures durant ma jeunesse m’a surtout appris à les respecter. Cela m’a permis de contracter ce que j’appelle le “syndrome du caméléon”, qui est tellement utile dans notre secteur, pour s’intégrer dans une équipe. Les gens ont tendance à oublier que le design est avant tout un travail d’équipe. C’est loin d’être un “star system”. Il faut beaucoup d’habileté sociale, en plus du talent, pour réaliser un design. J’avoue aussi que ce mix culturel dont j’ai été témoin durant ma jeunesse m’a permis de décupler ma créativité.
Vous êtes fan de motos. Avez-vous fait de la compétition ?
Pas vraiment. La moto, quand j’étais en Afrique, m’a appris l’ instinct de survie et a développé mon intérêt pour la mécanique. J’aime beaucoup l’aspect bionique des motos, le mariage précis entre technique et esthétique : “form merges with function” au lieu de “Form follows function”. Ceci dit, je rêvais de faire le Paris-Dakar, mais entre mes études et surtout la disparition de Thierry Sabine en 1986, j’ai fini par abandonner l’idée.
Vous avez étudié le design en Belgique et en Suisse. Quel était votre but quand vous avez obtenu votre diplôme ? Vous aviez déjà une marque en tête ?
Enfant, je rêvais de travailler chez Porsche. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai pris l’ allemand comme seconde langue à l’école française de Dakar, pour me rapprocher davantage de mon rêve. En fin de compte, je n’ai pas travaillé chez Porsche, mais je pense que ce n’est pas plus mal, car j’avais trop de respect pour l’icône 911 pour pouvoir travailler librement sur sa remplaçante. Je n’ai jamais osé rêver travailler pour Bentley ou Lamborghini et j’ai fini par le faire, en travaillant pour le Groupe Volkswagen.
Que retenez-vous de vos débuts chez Peugeot ?
J’ai compris que je devais travailler dans un univers étranger, pour mieux progresser: “Nul n’est prophète en son pays”. Même si la France n’était pas mon pays natal mais étant francophone, la culture m’était trop poche pour me permettre une remise en question et un apprentissage différent. C’était trop confortable, trop facile. Et ma passion pour la belle mécanique m’a toujours attiré vers l’Allemagne et l’Italie.
Comment a commencé l’aventure au sein du Groupe Volkswagen ?
Cela a commencé par une offre de travail chez Mercedes, VW et Audi. J’ai choisi Ingolstadt, car l’entretien d’embauche avec les dirigeants a été très amical et simple, très chaleureux. Cela m’a permis de travailler pour Hartmut Warkuss et “Gerd” Pfefferle, les deux héros inconnus du design Audi, qui ont révolutionné le monde du design automobile. L’humilité et la compétence de ces deux géants du design m’ ont donné les bases qui m’ont permis d’ avoir l’ honneur de créer des modèles pour les marques Audi, Skoda, Lamborghini, Seat, VW et Bentley, pour ensuite travailler pour Hyundai, Genesis et Kia. Mais vous savez, Harmut Warkuss et Gerd Pfefferle ont également formé les designers qui sont à la tête de presque toutes les marques automobiles d’aujourd’hui.
Quel modèle du groupe vous a le plus marqué ?
C’est l’Avus qui m’ avait tellement marqué et fait en sorte que j’envoie ma candidature à Audi. Pour moi, c’était le symbole que quelque chose de grand allait se passer chez ce petit constructeur bavarois qui avait déjà impressionné le monde avec son système Quattro, qui a ensuite été adopté presque unanimement par toute l’industrie automobile premium et de luxe.
Après 20 ans dans différents postes de responsabilité qu’est ce qui vous a poussé à quitter le groupe ?
Après 23 ans au sein du Groupe Volkswagen, je pouvais capitaliser sur mon passé ou prendre le risque de me remettre en question une nouvelle fois, j’ai choisi le risque, car je pense pouvoir décupler ma force créative en étant soumis au choc culturel dans le continent asiatique. C’était le quatrième continent que j’allais découvrir. Le fait que Hyundai ait été le premier à mettre en production dès 2013 une voiture à hydrogène m’a convaincu de leur compétence technologique et de leur volonté de sortir des sentiers battus pour façonner l’automobile de demain.
Comment se sont passés vos débuts chez Genesis ?
Être un pionnier est tellement fascinant, de créer une marque en commençant par le design est tout simplement envoûtant. Il est vrai que j’ai eu le privilège de relancer Skoda, Lamborghini, Seat et Bentley en les projetant dans le futur, mais je n’étais jamais parti d’une feuille vierge.
Vous avez été nommé à la tête du design du Groupe Hyundai-Kia. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
Concrètement, je peux gérer un portfolio de 3 marques globales avec 16 studios de design sur 4 continents (pour le moment) et près de 900 designers! C’est un grand défi et me revoilà retournant à cet album prémonitoire de Michel Vaillant, de 1957.
Comment allez-vous procéder, désormais ?
Je vais continuer à créer ma “dream team” de designers talentueux et “ sans frontières”, en espérant faire honneur aux grands qui m’ ont tout appris : Hartmut Warkuss, Gerd Pfefferle, Walter de Silva , Giorgetto Giugiaro. En réalité, mon emploi du temps est divisé entre les voyages en avion pour visiter les différents studios de design. Le fait de surfer entre les différents fuseaux horaires a ses avantages finalement, puisque cela me permet de travailler en continu, 24 heures sur 24. Je jongle entre les projets, les vidéo-conférences et la volonté de continuer à dessiner et designer “hands on”, parce que tout compte fait, je suis et reste un designer.
Que pouvez-vous nous dire des futurs modèles du Groupe ?
2019 apportera au monde mes premiers designs pour le Groupe coréen et je suis très impatient que le public puisse enfin découvrir le produit final, alors que cela fait un moment déjà que l’on parle de ces projets. Place à l’acte, comme on dit. Nous entamons un nouveau chapitre et nous allons concrétiser en trois dimensions la philosophie du design : “Athletic elegance” pour Genesis et “Sensous sportiness”, pour Hyundai
Êtes-vous collectionneur de voitures ? Quel modèle a le plus de valeur à vos yeux ?
Oui, malheureusement… non plus sérieusement, la voiture d’époque m’a depuis toujours servi d’inspiration et je réalise mon rêve en collectionnant chaque génération de 911 refroidie par air. En outre, j’adore comparer l’évolution de chaque génération (pas de backdating pour moi, chaque modèle doit être cohérent, entre l’esthétique et la technologie de l’époque. Je ne veux surtout pas de “faux vintage”). J’aime aussi beaucoup rouler avec ma 3.0 CSI Alpina et mon Range Rover de 1973, qui a appartenu a James Duncan Hamilton (qui avait remporté le Mans en 1953 sur la Jaguar C-type) ou ma Vespa de 1963 ou la Honda XR500R de mon adolescence.
J’espère pouvoir participer de nouveau à des rallyes (comme le Liège-Rome-Liège, que j’ ai gagné en 2015 avec ma Lamborghini Miura), mais aussi à des courses en circuit, comme le Monterey Historics, à Laguna Seca.