D’une voix posée, sans détour, Karim Habib, le directeur du design BMW, raconte ses débuts avec l’automobile. C’est une relation viscérale, qui s’est nourrie à la base d’une passion pour le design. Jouissant d’un véritable don, Habib va écumer les meilleures écoles de design, en Suisse et aux États-Unis et montrer très tôt ses prouesses, qui vont taper dans l’oeil des responsables de la marque à l’hélice.
C’est à Munich qu’il va se forger un nom dans le monde du design automobile, en prenant en charge avec succès des projets structurants pour la firme bavaroise. S’il a un temps cédé aux sirènes de la marque à l’étoile, il va finir par revenir rapidement au bercail. Ce retour triomphant va lui donner ses lettres de noblesse, à travers sa nomination au poste de directeur du design. C’est une reconnaissance du talent de ce Libano-Canadien, qui a réussi à réinventer avec succès le style de BMW. D’ailleurs, la firme bavaroise a souligné officiellement son «impact important» sur le design de BMW depuis plusieurs années, ainsi que son «instinct subtil pour l’élégance et la dynamique». Dans cet entretien accordé au Magazine Gentlemen Drivers, Karim Habib, égrène les différentes étapes de son brillant parcours, présente ses dernières créations et nous éclaire sur les enjeux futurs du design BMW.
Comment avez-vous attrapé le virus de la passion automobile ?
Dès le déclenchement de la guerre du Liban, ma famille s’est réfugiée en Iran. Trois ans plus tard, la destitution du shah nous a obligés une nouvelle fois à plier bagages, direction la Grèce. Puis nous nous sommes installés au Canada, un pays où les immigrés peuvent retrouver de vraies racines. C’est à Montréal que mon avenir professionnel va se dessiner. Quand j’étais enfant, je dessinais beaucoup des voitures, des meubles, des radiateurs. Des choses que je voulais changer autour de moi. À l’âge de 11 ans, j’ai conçu ma marque !!!
À 13 ans, je rencontre le champion d’escrime quebécois Jean-Marc Chouinard, au collège Stanislas, qui m’embarque dans une première aventure initiatrice. Je consacre tout mon temps libre à tirer à l’épée. Plus qu’un sport de combat, l’escrime est une merveilleuse école de développement du sens tactique.
En 1989, je participe au championnat du monde juniors. L’escrime était ma vie. Je rêvais d’aller aux Jeux olympiques et de suivre les traces de Jean-Marc. À la même époque, j’étais inscrit à l’Université McGill, en génie mécanique. Mon passage à Montréal m’a influencé dans le sens d’une plus grande ouverture d’esprit. Montréal est une ville très cosmopolite, ce qui est également le cas de plusieurs autres grandes villes canadiennes, mais Montréal est un endroit où il existe une grande curiosité sur toutes sortes de sujets… Et lorsque l’on grandit dans un endroit qui éveille la curiosité, c’est très inspirant. Et il y a aussi peut-être le fait que la place des artistes est bien établie dans la société au Canada en général et au Québec en particulier. Ma mère est également pour quelque chose dans mon ouverture d’esprit. Maman était professeur de littérature française et de géographie. Je suis imprégné de culture française, je n’ai fréquenté que des écoles françaises. J’ai même passé une année à l’internat de l’école France-Afrique de Dormans, en Champagne.
À quel moment avez vous décidé de vous orienter vers le design automobile ?
Après avoir tergiversé, j’ai décidé de renoncer à mon épée et à ma tenue de sport blanche, pour terminer mes études. Mes parents voulaient que je poursuive mes études. Je pense que si cela avait été le football, ils auraient changé d’avis (rires….). J’ai fait un bac D en mathématiques et biologie. J’étais intéressé à la fois par l’ingénierie, l’architecture, le design. Je n’étais pas sûr de ce que je voulais faire plus tard. Finalement, j’ai opté pour le génie mécanique. Diplôme en poche, j’ai rendu visite à ma soeur en Allemagne et croisé l’un de ses amis, : qui m’a suggèré de poursuivre mon cursus à l’Art Center College of Design, à Vevey en Suisse. Là, j’ai été conquis sur le champ, en découvrant les modèles, les dessins… Je mes suis dit : «C’est pour moi».
Ma scolarité m’a entraîné ensuite pendant trois ans et demi à Los Angeles, où j’ai eu la chance d’étudier dans la prestigieuse école de design de Pasadena. J’ai adoré cette période. Le processus de création des formes me fascinait ; le travail sur l’argile. Donner naissance à un objet animé, ancré dans une certaine réalité, comme la voiture, me captivait. Au début, je n’étais pas un excellent dessinateur, mais on apprend de ses erreurs. J’ai beaucoup utilisé la gomme. J’ai fini par avoir une révélation en superposant les feuilles. Cela m’a permis de progresser. La grande école, c’était Pasadena et c’est également la plus vieille école de design, puisque sa création remonte aux années 30. La grande force de cette école est le dessin. Mais, il faut d’abord terminer le cursus avant de passer à la pratique. En Europe, c’est différent, puisque le cursus offre la part belle à la pratique. Au Royal College de Londres, il y a beaucoup de créativité, c’est beaucoup plus conceptuel. Comment s’est opéré ton passage chez BMW ? J’ai fait mon projet de l’avant-dernier semestre sur BMW et j’étais encadré par des professeurs qui étaient des designers chez BMW Californie. Je me rappelle de ces professeurs comme étant des professionnels hyper créatifs et hyper ouverts. Lors de ma graduation, il y avait Chris Bangle, qui devait faire un discours, je lui ai montré mon travail et il m’a invité à venir à Munich pour présenter mon portfolio. C’est ainsi que BMW m’a engagé en 1998. J’avais à l’époque 28 ans. J’ai eu la chance d’avoir comme premier projet la conception de l’intérieur de la Série 5. Mon travail a été apprécié et ce projet m’a permis d’acquérir rapidement de l’expérience et m’a aidé à apprendre l’allemand.
Quels rapports aviez-vous avec Chris Bangle ?
J’admire Chris Bangle, c’est un vrai professionnel et en outre, il protège bien son équipe. Au moment où les critiques fusaient de toutes parts à propos du design de la Série 7, il a assumé toute la responsabilité.
Par la suite, vous avez fait un détour chez Mercedes… Pourquoi ?
En 2009, j’ai atterri chez Mercedes. Pour moi c’était un passage intéressant. À ce moment là, je venais de boucler mes dix ans chez BMW. La série 7 venait de sortir et je venais de terminer la réalisation du concept CS, une étude de coupé quatre portes dévoilée au Salon de Shanghaï en 2007. Gordon Wagner (chef du design de Mercedes-Benz Style) m’a contacté. C’était un jeune qui voulait refaire la marque. Pour moi, c’était un challenge de faire partie d’une équipe jeune, qui apportait du sang neuf à la marque à l’étoile. Je me suis notamment chargé de la définition du style des futures Smart. J’ai également travaillé sur les modèles de la série F, comme le F700 ou le F800. Je me rappelle très bien du jour où j’ai pris la décision de rejoindre Mercedes. Je marchais dans le studio, je disais bonjour à tout le monde, tout était hyper facile…
Je me suis dit que je pouvais faire ici une belle carrière, mais ce n’était peut-être pas la meilleure des choses. Il fallait que je me lance un défi, que je me mette mal à l’aise pour voir si j’étais capable de m’adapter ou pas. J’ai beaucoup apprécié les deux années passées là-bas (mars 2009-mars 2011).
Puis vous avez réintégré BMW…
Adrian van Hooydonk (Ndlr directeur du design du Groupe BMW) m’a passé un coup de fil et m’a demandé de réintégrer BMW, en tant que responsable du design extérieur. Je n’ai pas hésité une seule seconde, car c’était une offre qui ne se refusait pas. En mars 2011, j’ai pris mes nouvelles fonctions. À ce titre, j’ai supervisé le renouvellement de l’extérieur de la Série 3 de 2012. En mai 2012, j’ai bénéficié d’une nouvelle promotion en tant que directeur du département du style intérieur et extérieur de BMW. Même si c’était un rêve d’adolescence qui se concrétisait, je me suis octroyé quelques semaines de réflexion avant de me décider. En fait, j’étais vraiment ravi de revenir à la marque BMW et d’avoir la possibilité d’aider à façonner l’avenir de BMW dans le cadre d’une équipe exceptionnelle.
Que représente pour vous le concept BMW 3.0 CSL Hommage ?
Ce projet me tenait beaucoup à coeur. La 3.0 CSL est une icône pour la marque bavaroise et la mère de toute la famille des sportives. À chaque fois, il y avait un autre projet qui remettait à plus tard sa réalisation. Il y a deux ans, c’était le coupé BMW Lusso, imaginé avec Pininfarina et l’année dernière, nous avons présenté la MINI Supperleggera Touring. Le profil arrière est ma partie préférée. Mon souhait n’était pas de copier le coupé mythique des années 70. Donc, on a fait en sorte de reprendre bon nombre de caractéristiques de l’aïeule, sans pour autant les copier, pour que les gens puissent détecter d’emblée la filiation.
Et la nouvelle BMW Série 7 ?
Dessiner la BMW Série 7 est bien sûr quelque chose de très spécial, c’est le vaisseau amiral de BMW. C’est la voiture la plus sportive de son segment, elle doit être dynamique et athlétique, elle doit proposer une conduite précise. Mais d’un autre côté, c’est notre modèle le plus haut de gamme, le plus cher aussi. Il est donc important qu’elle dégage beaucoup de stature, de présence. Elle doit dégager une sorte de force tranquille. La Série 7 reçoit les proportions typiques d’une BMW : un porte à faux avant court, un capot très long et une ligne de toit rejoignant de la manière la plus élégante possible la malle de coffre. Il y a aussi la calandre, qui joue un rôle important. Elle est ici très large et imposante.
Selon vous, cette nouvelle génération va-t-elle inspirer les prochaines productions de la marque ?
En tant que vaisseau amiral de la marque, la Série 7 étrenne évidemment beaucoup d’éléments, qui se retrouveront par la suite sur d’autres modèles de la gamme. Comme les lignes tendues, précises, la large calandre, les surfaces généreuses et sensuelles. Par exemple, la planche de bord orientée vers le conducteur est dans l’ADN de la marque. Nous savons combiner cette philosophie sportive, avec un haut niveau de qualité, de finesse et de raffinement. Avec la nouvelle Série 7, nous établissons de nouveaux standards, qui se retrouveront dans un avenir proche sur nos autres modèles.
Que pensez-vous du design automobile aujourd’hui ?
Je pense que nous vivons une période fascinante, parce qu’il y a énormément de défis. Il y a des défis technologiques, notamment l’aérodynamique, la consommation, la conduite automatisée… Surtout pour une marque comme BMW. Il y a également un volet social, puisque la position de l’automobile dans la société occidentale est en train de changer rapidement. Pour beaucoup de jeunes dans de nombreux pays, posséder une voiture n’est plus un grand rêve. Mais paradoxalement, l’attente de ce que peut faire une automobile est de plus en plus élevée !:Autant, il y a vingt ans, l’automobile était un objet de plaisir, autant, aujourd’hui elle l’est moins, mais l’exigence de la qualité est plus prononcée. C’est une dichotomie assez fascinante !
Que représente l’électrique dans l’avenir de BMW ?
Pour BMW, c’est très clair. Il y a la gamme «I», qui repose sur «l’Efficient Dynamics». En d’autres termes, on ne lésine pas sur la performance, mais l’efficacité en termes de rendement et d’émissions est mise en avant. Les I3 et I8 en sont les exemples typiques. Mais d’un autre côté, nous pouvons produire une série 3 Plug in Hybrid, qui est plus une évolution, alors que la gamme «I» est carrément une révolution. Donc, nous avons une stratégie à plusieurs branches. Le design est important dans ce cadre. Pour BMW, il est important que le design puisse traduire le changement technologique qui s’est opéré dans la voiture.
La voiture qui vous fascine le plus ?
La voiture qui m’a fasciné depuis mon enfance est la Lamborghini Countach. J’adore aussi Zagato, parce qu’il fait toujours des choses un peu bizarres, mais fascinantes. Bien entendu, on ne peut pas passer sous silence Pinifarina et son élégance italienne !
Avez-vous une collection de voitures BMW genre M1, 507… ?
Non. Je crois que je devrais en parler à mon patron ; pour qu’il m’aide à financer ces caprices très coûteux (rires….). Plus sérieusement, j’ai une Alfa Romeo Giulia Sprint GT de 1964 dessinée par Giugiaro, quand il avait seulement 22 ans ! Cela n’a rien d’exotique, mais c’est une voiture que je voulais acquérir, parce qu’elle me fascinait depuis l’enfance.
Par ailleurs, comme je travaille pour un constructeur automobile, je change rapidement de voiture. Certes, je me fais de temps à autre plaisir, mais le plus souvent, je conduis la voiture qui m’aide à mieux avancer sur un projet sur lequel je travaille. Il m’arrive également de conduire des voitures avant leur commercialisation, parce que cela m’aide à comprendre beaucoup de choses.
Vous avez-vous semble-t-il un petit faible pour la ville des lumières…
Mes parents m’ont transmis leur adoration pour cette ville. Il se dégage une beauté que l’on ne retrouve pas ailleurs. Avec une préférence pour les quartiers de Saint-Germain-des-Prés et de la Bastille, les frites et la sauce du Relais de l’Entrecôte. Vos hobbies ? J’ai deux filles d’un très jeune âge. Donc, mes occupations extra professionnelles gravitent atour des couches (rires…). Plus sérieusement, mes fonctions sont très prenantes et absorbent mes journées. Je réussis à jouer une heure au tennis par semaine, mais cela fait une éternité que je n’ai pas sorti mon Alfa Romeo Giulia Sprint GT de 1964. Le temps manque aussi pour dessiner. J’en ai pourtant besoin pour me rassurer, me prouver que je sais encore le faire. Le dessin a des vertus thérapeutiques. Les écouteurs sur les oreilles, on bascule dans un autre monde.
Biographie
1970
Voit le jour au Liban
1989
Participe au championnat du monde junior d’escrime
1994
Décroche un diplôme de l’université McGill en ingénierie mécanique
1997
Décroche un diplôme de l’Art Center College for Design de Pasadena en Californie
1998
Intègre BMW en tant que responsable du design intérieur
2009
Rejoint Mercedes pour prendre en charge le design de la marque Smart
2011
Nommé responsable du département du design extérieur de BMW.
2012
Nommé directeur du style global de la marque BMW (extérieur et intérieur)