Simple, courtois et surtout discret. Jean Valverde est du genre qui aime se fondre dans la foule, loin des caméras et des projecteurs. Cette modestie contraste pourtant avec un parcours riche, surtout en sport automobile, durant lequel il a côtoyé des géants tels que Max Olivar ou Dechassaut. Son trip depuis sa tendre jeunesse est de limer le bitume, en cherchant toujours à améliorer sa manière de conduire. À 86 ans, Jean Valverde garde toujours un esprit espiègle et se remémore avec nostalgie des moindres détails d’une vie faite par et pour l’automobile. D’ailleurs, il ne se lasse pas de raconter les anecdotes et les péripéties qui ont émaillé sa vie de pilote de course émérite. Notre homme est ainsi intarissable au sujet du sport automobile marocain durant sa période de gloire, à savoir les années soixante et surtout soixantedix … Dans cet entretien, Jean Valverde nous invite à découvrir son monde enivrant, digne d’un vrai gentleman driver.
Comment vous êtes-vous intéressé à l’automobile ?
Je suis né au Maroc et depuis, je n’en ai jamais bougé. Ma passion pour l’automobile est née de mon activité professionnelle, qui m’obligeait à me déplacer énormément. En effet, j’avais des chantiers partout au Maroc et je devais sillonner le pays pour superviser l’avancement des travaux. À l’époque, on roulait mieux que maintenant, même s’il n’y avait pas encore d’autoroutes, car on pouvait se permettre des pointes de 150, 160 km/h, sans courir le risque de se faire flasher par un radar. Je savais que je roulais vite, que je roulais bien. Mais je n’avais aucun moyen de savoir si j’avais un bon toucher de volant. Pour avoir une idée de mon potentiel, je me suis donc penché sur la compétition dans les années 60. J’étais un de ces coureurs qui ne cherchaient pas à se spécialiser dans une catégorie bien précise. Je faisais aussi bien du circuit que des rallyes. Je trouvais du plaisir dans les deux disciplines. Mais au-delà de la compétition, j’aimais rouler des heures durant. Et à cette époque là, je ne rechignais pas à partir à 3h00 du matin vers Marrakech s’il y avait une urgence. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, puisque avant de prendre la route pour Marrakech, je dois réfléchir trois fois plutôt qu’une (rires…). À force de me déplacer, je suis devenu un gros rouleur, qui a réussi à parcourir cinq millions de km. Peu de gens peuvent s’enorgueillir d’un pareil résultat. Pour beaucoup de personnes, dépasser la barre du million de km est déjà une prouesse en soi. Cet exploit s’explique non seulement par mes fréquents déplacements, mais également par les longues distances qu’on devait parcourir pour faire la reconnaissance d’étape en rallye. En définitive, la voiture était devenue pour moi une sorte de tasse de café dont je ne pouvais plus me passer. Durant mon parcours, J’ai eu affaire à plusieurs voitures : j’en ai cassé, jeté plusieurs (rires…).
Sans m’en rendre compte, je crois avoir conduit toute la panoplie de voitures possible, aussi bien des françaises que des américaines et j’ai bouclé la boucle avec les voitures allemandes, dont j’ai apprécié la solidité et les performances. C’est d’ailleurs au volant d’un modèle allemand que j’ai fait toutes mes courses !
Est-ce que votre entourage familial a été pour quelque chose dans le déclenchement de cette passion pour la voiture ?
La contamination par le virus de la passion automobile était endogène. Mon entourage n’a eu aucune contribution dans le déclenchement de cette passion chez moi. Je conduisais normalement sur la route, puis progressivement, je me suis rendu compte que je pouvais conduire mieux et tirer toute la quintessence de la mécanique. Je tiens à souligner à ce niveau que ma formation en ingénierie mécanique m’a grandement facilité la transformation des moteurs et l’augmentation de la puissance.
Pouvez-vous nous parler de votre première voiture ?
Dans ma vie, j’ai eu beaucoup de voitures. Contrairement à beaucoup de gentlemen drivers, j’ai commencé avec un camion Rochet Schneider.
Pourquoi un camion ?
Tout simplement parce que c’était la guerre et qu’il n’y avait pas de voitures. Il ne roulait pas très vite. Je le faisais démarrer à la manivelle. Certes, il y avait des voitures avant la guerre au Maroc, mais elles étaient hors de portée pour un jeune débutant comme moi. Il m’arrivait de m’immobiliser devant la vitrine d’Auto Hall pour contempler ces belles caisses rutilantes et de m’imaginer au volant de l’une d’elles. Après les voitures commençaient à être importées au Maroc. Ma première compagne à quatre roues a été une traction avant. Ensuite, je l’ai changée pour une Austin Healey. Après, je suis passé aux américaines. J’ai d’abord acheté des Jeep (années 41-42) avant d’enchaîner sur un tas de marques : Oldsmobile, Chevrolet Bel Air, Chrysler, Plymouth et finalement, la fameuse Camaro. Une fois la parenthèse des américaines fermée, je me suis essayé aux allemandes. D’abord, la Porsche 911 S et ensuite je me suis amouraché des Opel. J’ai ouvert le bal avec la Record (68-69) et enchaîné avec deux Opel Kadett, une blanche et une dorée que j’ai ramenée directement d’usine en Allemagne.
Vous avez eu une carrière riche, en sport automobile…
L’évènement qui m’a marqué comme les jeunes de ma génération, c’était la course de formule 1 organisée à Casablanca. Pour tous les passionnés de la course automobile, un rêve se réalisait à la vue de pilotes de la trempe de Fangio ou de Moss en train d’en découdre sur le circuit casablancais. S’agissant de ma propre expérience de la course, je tiens à préciser que je n’ai jamais terminé premier et que je n’avais jamais eu cette ambition. Ce qui m’importait, c’était le plaisir de pilotage, de participer à des courses…
J’ai débuté ma carrière de coureur automobile avec le circuit de la corniche de 1969. Ce n’était pas toujours facile d’être coureur automobile au Maroc, surtout durant la guerre et l’après-guerre. Cette période a beaucoup influencé notre attitude. Nous avions un manque, car il n’y avait ni voitures, ni pneus et l’essence était rationnée. Donc, il fallait trouver un substitut à l’essence pour continuer à rouler. C’est là que nous nous sommes orientés à l’instar des autres pays vers le gazogène. Il s’agissait alors, pour faire simple, d’employer un combustible solide contenant du carbone – notamment du bois ou du charbon de bois – pour la production d’un « gaz pauvre », qui permettait d’actionner un moteur. Deux solutions s’offraient à l’époque, soit d’embarquer une chaudière dans la voiture, soit de remorquer du gazogène. Inutile de vous dire que ce n’était pas la joie. En raison de leur faible teneur en énergie calorifique, le gazogène réduisait assez fortement la puissance motrice. Heureusement qu’au bout de deux ou trois ans, la situation s’est améliorée avec des gazogènes plus performants, proposés par la marque Gohin-Poulenc. Derrière mon intérêt pour l’automobile, il y avait une volonté de mesurer ma valeur et mes compétences en pilotage. Encore une fois, le sport automobile à l’époque n’était pas facilement accessible, car il fallait assumer tous les frais de la course. Il fallait, donc, payer le carburant soi-même. En plus, nous étions confrontés au problème des pneus. Il fallait de fait se contenter des pneus de la société Général, qui étaient des cassegueule, car dangereux en piste. Pour surmonter ce problème, la Fédération a commencé à accorder des dotations de pneus et ce n’est que vers les années 70, que l’offre s’est considérablement enrichie. Ma première voiture de course a été une Opel 2 litres.
C’est avec ce modèle que j’ai couru toutes les courses auxquelles j’ai participé. Ce choix venait du fait que je connaissais cette voiture de mieux en mieux et que je la rendais de plus en plus performante. Il faut dire par ailleurs que ma formation d’ingénieur en mécanique m’a permis d’améliorer moi-même les performances du moteur. En termes de palmarès, j’étais toujours dans les cinq premiers, mais jamais le premier. Parmi les grands pilotes que j’ai côtoyé, il y a eu Max Cohen Olivar. Pour moi, il a été le meilleur pilote marocain sur circuit. Il lui arrivait de me prodiguer des conseils de temps à autre. Lors de la course de Mohammédia où je suis arrivé 2e et lui cinquième, c’était à cause de sa voiture, qui était inférieure à la mienne. Il ne faut pas croire que le pilote fait tout. La voiture joue également un rôle important. Je me rappelle également de Dechassau,t qui a été un des meilleurs pilotes du Maroc et du monde en rallye.
Quelle est la course qui vous a le plus marqué ?
Mon circuit préféré était celui de Mohammédia. C’est là-bas que j’ai participé à une course haletante d’environ deux heures, soit l’équivalent de 60 tours environ. C’était passionnant. On ne dépassait pas les 160 km/h en circuit de ville et pourtant c’était très physique. À chaque épingle, la tête partait en vrille.
Vous est-il arrivé de bénéficier des services d’un sponsor ?
Le sponsoring n’était pas très développé à l’époque. Je me rappelle qu’un responsable de Toshiba, m’avait donné des autocollants et m’avait promis 1.000 DH si je me classais parmi les trois premiers, mais je ne l’ai plus revu (rires…). Une seule fois, j’ai été récompensé pour avoir fait un podium : j’ai reçu des pneus.
Quels sont les pilotes qui vous ont le plus marqué ?
Claude Amoyal, il était chronométreur et il avait beaucoup donné notamment pour la promotion de la course sur circuit au Maroc. Je me souviens également d’un certain Jacky Béranger, qui épatait la galerie avec sa Porsche 911.
Quel regard portez-vous sur le sport automobile au Maroc ?
Avec le recul, la compétition automobile au Maroc est en pleine décadence. Le Maroc mérite un circuit permanent et pourquoi pas d’organiser un grand prix F1. Il n’y a pas beaucoup de motivation, la Fédération n’est pas très dynamique et les autorités n’aident pas. Il y a des passionnés, de très bons pilotes et des gens motivés qui veulent aller loin. Seul bémol, la FRMSA qui navigue à vue sans véritable commandant de bord, ce qui influe profondément sur son image et ses activités. Cela est d’autant plus regrettable que le royaume abrite aujourd’hui une manche du championnat du monde WTCC. Je suis nostalgique de l’âge d’or des sports mécaniques au Maroc, où on faisait tout, même les courses de motos.
En parlant justement du WTCC, que pensez-vous de l’organisation par le Maroc d’une manche de ce championnat ?
Le Grand Prix de Marrakech est une manifestation qui revêt beaucoup d’importance pour le Maroc en termes d’image et de contribution au développement du sport automobile. Je pense que c’est une bonne initiative, qui va permettre peut-être de redorer le blason de ce sport dans notre pays.
À votre avis, quel est le remède à cette situation de déclin du sport automobile ?
Pour que cela continue à progresser, il faudrait une locomotive. Quelqu’un qui ait du charisme, de la notoriété et du dynamisme pour entraîner les autres dans son sillage. Bien entendu, il faudrait que les autorités aient également de la bonne volonté. Je tiens ici à saluer les autorités de Mohammédia, qui ont toujours eu un regard positif sur le sport automobile et aidé les organisateurs à réussir leurs évènements.
Que représente pour vous le rallye Classic du Maroc ?
C’est une bonne initiative. Le Rallye Classic est une très bonne carte visite pour le Maroc. Il s’agit également d’une course exceptionnelle. C’est un rallye qui regroupe des gens d’horizons très différents. Il y a 60 personnes entre commissaires et accompagnateurs. Ce qui est extraordinaire, c’est de se retrouver autour d’une table en compagnie de champions et de pilotes de renom. C’est également un rallye difficile, qui fait souffrir hommes et mécaniques. Sur certaines spéciales (montagnes par exemple), le pilote est tenu de respecter des moyennes précises dans des conditions climatiques parfois difficiles, ce qui augmente le risque d’erreur ou d’accident.
Vous êtes également connu pour être un grand pêcheur ?
J’ai été un grand pêcheur et j’ai gagné beaucoup des trophées. J’ai participé à des régates avec des Espagnols. Un jour, j’ai pêché un marlin blanc de 50 Kg. Aujourd’hui, je continue à m’activer dans ce domaine. Actuellement, je fais partie du comité d’organisation d’un championnat international de la pêche au marlin. Il faut savoir qu’aujourd’hui, il y a un engouement pour le marlin. Donc, il y a un foyer et toutes les conditions sont réunies pour que la flamme reprenne
Avez-vous d’autres passions ?
Depuis ma première jeunesse, j’ai étés passionné d’équitation. J’ai été à la fois éleveur et cavalier. Je m’intéresse également à la voile, mais en tant qu’organisateur de compétitions et non en tant que pratiquant. Aujourd’hui, je fais de l’animation, de l’accompagnement d’athlètes et je participe à l’organisation d’évènements sportifs. À chaque fois que j’arrêtais la pratique d’un sport, je continuais à assister et à prodiguer des conseils aux nouvelles générations. Mais s’il y a une chose qui me rebute, c’est le manque de volonté ou l’incompréhension des gens. Dans ce cas, je lâche tout et je me retire.