Né en 1945 à Carpentras, dans le Vaucluse, Jean Ragnotti a été piqué par le virus de l’automobile dès son plus jeune âge. Précoce, il a pris le volant pour la première fois alors qu’il n’avait que 6 ans. D’abord chauffeur routier, il a fait ses débuts en rallye en tant qu’amateur, au volant d’une R8 Gordini en 1967. En enchaînant les compétitions, «Jeannot» comme l’appellent ses intimes, a fini par décrocher un contrat avec Opel en 1970, avant de signer son premier contrat officiel avec Renault en 1973. Depuis cette signature, Jean Ragnotti est resté fidèle à la marque au losange, dont il a piloté les voitures dans les différentes compétitions automobiles. Le pilote français de renommée mondiale peut se vanter d’avoir une des plus longues carrières de l’histoire du sport automobile. Gentlemen Drivers a eu l’occasion de rencontrer cette légende vivante, qui a passé toute sa vie derrière un volant.
Comment est née votre passion pour l’automobile ?
Petits garçon, je passais beaucoup de temps avec mon père. Quand j’avais à peine 6 ans, il m’a laissé prendre le volant, sur ses genoux bien sûr, de sa Renault Juva 4. Et je dirai que c’est à ce moment là que ma passion pour l’automobile est née et a grandi de jour en jour. Quand j’avais 15 ans, je me suis essayé au gymkhana, avec un tracteur. Une idée d’adolescent ! Bien évidemment, cela ne s’est pas passé comme prévu et j’ai eu un accident. Mais ce n’était pas cela qui allait m’empêcher de réaliser mon rêve. À 18 ans, dès que j’ai passé mon permis de conduire, j’ai travaillé comme chauffeur routier pour pouvoir économiser et m’acheter la fameuse Renault 8 Gordini avec laquelle j’ai participé à mon premier rallye.
Parlez-nous de vos débuts dans la compétition automobile ?
Avec ma Renaut 8 Gordini fraîchement sortie d’usine, ma première compétition a été sur le circuit de Miramas, pour une course régionale. Peu de temps après je découvrais le rallye d’Istres, duquel je garde un souvenir particulier. Il faut dire que j’étais amateur et c’était mon premier rallye. Le niveau était plutôt élevé avec des pilotes bien plus expérimentés, mais j’ai réussi à me classer premier du Groupe 2 et surtout troisième au classement général. Ce résultat n’a fait que faire croître mon envie de me dédier corps et âme à ma passion. Ensuite j’ai enchaîné les rallyes, j’ai participé à la Coupe de France en 1968 et en 1969, j’ai participé au rallye du Vaucluse en remplacement de Franck Alesi (ndlr. Père de Jean), qui était tombé malade. Mais je n’étais pas encore un pilote professionnel.
En 1970, vous avez été engagé par Opel. Parlez-nous de cette expérience.
En effet, j’ai pris le volant de l’Opel Kadett Rallye 1900, avec laquelle j’ai, notamment pris part aux rallyes de Monte-Carlo et du Mont-Blanc. C’était une très belle saison, je dois l’avouer. C’est à ce moment là que je suis passé de pilote amateur à professionnel. J’avais fini deuxième du championnat de France.
Votre collaboration avec Renault a démarré en 1973. Quels souvenirs avez-vous gardé de cette époque ?
Effectivement c’est en 1973 que j’ai signé mon premier contrat avec Renault Compétition. J’avais participé au Rallye de Monte-Carlo au volant de la Renault 12 Gordini, qui venait d’être lancée et je devais encore me familiariser avec cette voiture. Mais en plus de tous les rallyes auxquels je participais, Renaut m’a surtout permis de m’ouvrir à d’autres disciplines. J’ai commencé en Formule 3. C’était une saison bien chargée, avec des courses à Magny-Cours ou encore sur le circuit Paul-Ricard. Après, l’année suivante, je me suis essayé aux sport-prototypes. C’était une nouvelle expérience, aussi enrichissante que les précédentes. Pour les constructeurs, cette compétition était une sorte de de banc d’essai. Les courses étaient donc très intéressantes. Ensuite, en 1975, j’ai intégré la Formule Renault Europe. Le calendrier était chargé, avec des courses en France, bien évidemment, mais aussi à Monaco, en Espagne, en Italie et en Allemagne. C’était une très belle saison et grâce aux efforts de toute l’équipe, j’ai pu finir 2e du championnat. Mais je ne pilotais pas que des Renault, puisqu’Alpine m’avait proposé de participer au Tour de la Réunion, avec une A110 et au Tour de Corse en A310. J’ai eu la chance de conduire ces voitures mythiques, alors que je ne faisais même pas partie de l’équipe officielle.
Vous avez remporté le titre de champion de France de Rallycross en 1977. Qu’avez-vous ressenti?
Il faut dire que les choses avaient bien démarré cette année-là. J’étais devenu pilote officiel de Renault. Au volant de l’Alpine A310 V6, on avait participé au championnat de France de Rallycross. C’était tout simplement magique. On avait remporté toutes les manches, je m’en souviens comme si c’était hier. Reims, Auxerre, Alençon, Lohéac, Châtellerault et enfin Limoges.
Vous êtes un pilote polyvalent. Vous faisiez du circuit, mais aussi des rallyes. Quelle discipline était votre préférée ?
Il faut dire que c’est très différent. J’ai eu l’occasion de faire beaucoup de circuit avec des voitures différentes, mais j’ai démarré ma carrière dans les rallyes. Donc forcément, j’ai un penchant particulier pour cette discipline. C’est peut-être aussi parce que je compte beaucoup plus de victoires en rallye. Ce qui fait aussi la différence et de loin, c’est le public. En rallye, la proximité avec les gens est vraiment là. Il y en a qui nous suivaient dans les différentes villes pour nous encourager et cela, franchement, n’a pas de prix et nous n’avons pas vraiment l’occasion de le vivre sur circuit où le public est plus éloigné.
Durant toute votre carrière vous êtes resté fidèle à Renault, comment expliquez-vous cela ?
Cela ne s’explique pas. Ce sont toutes les sensations que j’ai vécues au volant des voitures Renault qui ont fait que je lui suis resté fidèle. J’ai commencé ma carrière au volant d’une R8 Gordini, j’ai piloté la R12 Gordini, la R21 Turbo 4×4, la R5 Alpine, la R5 Turbo, sans oublier les Alpine. Ce sont des voitures qui ont, pour la plupart, marqué leur époque. C’était des voitures puissantes et fiables, qui m’ont permis remporter plusieurs victoires. J’ai toujours été bien traité par les équipes de la marque, donc c’était naturel pour moi de rester.
Vous êtes d’ailleurs ambassadeur Renault. En quoi cela consiste-t-il ?
Aujourd’hui, je fais partie du département Renault Classic, mais aussi de Renault Sport. C’est une présence, aussi bien en compétition qu’en concessions par moments, quand il y a des événements. Pour le haut de gamme et la F1, il y a Alain Prost et pour le reste, c’est moi.
Le public vous a surnommé «l’Acrobate» et ce n’était pas que pour vos dérapages lors des courses
C’est vrai que je me faisais plaisir sur les épreuves de rallye, mais à au début de ma carrière, j’ai été repéré par Rémy Julienne, grand cascadeur et concepteur de cascades français. Il m’a initié à ce nouveau monde. J’avais participé à des tournages en France, bien sûr, en Italie et en Espagne. J’avais servi de doublure à deux grands noms du cinéma français, Alain Delon et Jean-Paul Belmondo. J’ai décidé d’arrêter en 1981, pour me consacrer entièrement à ma carrière de pilote, mais j’ai retenté l’expérience quelques années plus tard. En fait, c’était Luc Besson, à la fin des années 1990, qui m’avait contacté pour piloter plusieurs voitures de la saga «Taxi». C’était amusant, il faut l’avouer. On ne vit pas la même pression que lors des compétitions.
Qu’est ce qui vous a poussé à arrêter votre carrière professionnelle ?
Vous savez, je n’ai arrêté ma carrière qu’en 1996. J’avais 51 ans à ce moment-là. Il était plus que temps pour moi de prendre ma retraite. La compétition était devenue éprouvante. Je n’avais plus rien à prouver et les choses étaient en train de changer. Pour les rallyes par exemple, on prenait vraiment notre temps pour la reconnaissance, qui durait une semaine, on découvrait le pays et surtout on était plus proches des gens. Pour les voitures aussi, il ne faut pas se méprendre, car elles étaient plus puissantes et beaucoup plus dures à conduire. Les courses comptaient plus de spéciales qu’aujourd’hui. Autant dire que je suis parti au bon moment.
Mais votre retraite professionnelle ne vous a pas empêché de piloter par la suite
Je ne pouvais pas rester loin de ce monde. Mais avec un autre état d’esprit. Je suis resté fidèle aux rallyes, mais cette fois-ci comme ouvreur. Et puis je dois dire que ma collaboration avec Renault ne s’est pas arrêtée en même que ma carrière professionnelle. On a fait beaucoup de démonstrations de pilotes, notamment au volant de la Renault 5 Maxi Turbo, j’ai aussi participé aux World Series by Renault. On a fait pas mal de choses aussi avec Alpine, avant le lancement de la berlinette. Je n’ai pas vraiment le temps de m’ennuyer. Sans oublier les rallyes historiques. Dès que j’en ai l’occasion, j’y participe.
Et pour vos déplacements quotidiens, êtes-vous un fan de voitures sportives ?
Sincèrement, je n’ai jamais été un accro à la vitesse. Au quotidien, je ne roule pas vite sur route ouverte et je ne suis pas vraiment un passionné de sportives de luxe. Jamais vous ne me verrez par exemple au volant d’une Ferrari. Tout au long de ma carrière, Renault me livrait des voitures. J’ai eu la R25, la Safrane, l’Espace, la Mégane, la Laguna et dernièrement la série limitée «Helly Hansen» du Captur. Je n’ai pas à me plaindre, d’autant plus que toutes mes voitures, j’ai l’habitude de les revendre au bout d’un an en général.
Que pensez-vous des avancées du monde de l’automobile et de l’arrivée prochaine des voitures autonomes ?
Il est vrai que les constructeurs ont fait des avancées énormes. Les voitures d’aujourd’hui sont plus sûres, avec des systèmes de sécurité évolués et toute l’aide électronique. Mais pour s’amuser, ce n’est pas l’idéal. Quand je vois l’engouement des constructeurs pour développer une voiture autonome, cela fait partie du processus, mais il est difficile de convaincre quelqu’un comme moi de faire confiance au pilotage automatique.