Dès sa plus tendre enfance, Christoph Grohe a appris à sentir l’odeur de l’essence et ses tympans se sont familiarisés avec le bruit des moteurs. Cet intérêt pour l’automobile a presque rythmé son adolescence et carrément pris une tournure plus passionnante à l’orée de son passage à l’âge adulte. Contrairement à la majorité des collectionneurs qui prônent la discrétion, cet épicurien a décidé de faire de sa passion un vrai métier, en devenant un vendeur professionnel de voitures de collection. Sur son site Internet, ses clients potentiels qui sont bien entendu de vrais passionnés peuvent parfois dénicher des perles rarissimes. Un vrai motif de satisfaction pour Grohe, qui a choisi de vivre sa passion en la partageant avec d’autres amateurs. Dans cet entretien, notre dilettante relate un riche parcours jalonné de péripéties et d’aventures, le tout servi avec des anecdotes croustillantes, à déguster sans modération.
Comment avez-vous attrapé le virus de la passion pour l’automobile ?
J’ai toujours été passionné de mécanique, bricoleur averti et amateur de modélisme (planeurs et automobiles). Mon arrière grand-père paternel était horloger dans la fameuse Vallée de Joux, en Suisse, aujourd’hui pôle mondial de l’horlogerie de luxe. À l’âge de 16 ans, un ami de mon quartier a reçu en cadeau d’une tante une moto monocylindre AJS de 250 cc je crois. Afin de la faire démarrer, nous la poussions en haut de la colline derrière chez nous puis descendions les deux assis dessus, au bout de quelques dizaines de tentatives, elle a démarré. Nous avons ensuite utilisé cette moto non immatriculée pour faire des virées de nuit, en toute illégalité, sans permis, alors que nous étions encore des mineurs. Puis mon voisin l’a vendue car nous trouvions nos sorties trop dangereuses, et entre temps nous parents avaient aussi été mis au courant…Je pense qu’à ce moment-là j’ai reçu une première contamination par le virus sans m’en rendre compte. Mais là où j’ai vraiment senti que le virus de l’automobile m’avait été inoculé définitivement, c’est lorsque j’ai soudain été tenaillé par l’envie de retrouver la Mercedes-Benz 250 SL de mon père. Elle était bleu métallisé avec un intérieur beige, et il l’a vendue en 1969 lorsque nous sommes partis de Vienne en Autriche pour nous installer en Suisse, près de Genève. Àcette époque, je me suis mis à écumer tous les garages de la région et je n’ai pas trouvé une Mercedes à mon goût. Finalement j’ai craqué pour une MGA 1600 roadster qui m’a subjugué par ses lignes et son charme british. Mais comme je n’avais pas encore 20 ans et que même en cassant ma tirelire je n’avais pas assez de moyens pour me l’offrir, c’est ma grand-mère paternelle qui m’a aidé pour son financement.
Parlez-nous de votre première voiture ?
Cette MGA était rouge avec un intérieur en cuir noir. Elle était capable de rouler, mais elle était dans un état assez moyen. J’ai rapidement trouvé un carrossier qui a accepté de me prendre sous son aile et de m’impliquer dans le travail de restauration de la voiture (démontage, décapage, tôlerie, apprêts et peinture). J’en ai aussi profité pour refaire moi-même les panneaux de porte, une partie du faisceau électrique, et quantité de petites choses si passionnantes que l’on peut réparer soi- même si l’on est assez bricoleur. J’ai fait avec cette voiture un voyage jusqu’à Mulhouse, pour visiter la collection des frères Schlumpf. Puis j’ai mis le cap sur l’Angleterre pour découvrir ce nouveau monde de la voiture ancienne, alors encore inconnu pour moi. J’ai eu la chance de voyager plusieurs fois avec Hubert Patthey, pilote suisse, en son temps agent Aston-Martin, AC et Bristol et qui a malheureusement tiré sa révérence il y a quelques années. J’ai beaucoup apprécié ces virées, car elles m’ont permis de faire une immersion dans le monde fascinant des voitures anciennes. Mais j’ai été contraint de marquer un temps de répit, le temps de partir faire des études à St-Gall, tout à l’Est de la Suisse. Prenant goût aux voitures classiques, j’ai vendu la MGA pour acheter une MG TC, bleue cette fois, avec laquelle j’ai fait un tour de Suisse en 1987. Un inoubliable périple avec le passage de tous les fameux cols alpins, arrêts à Arosa, St. Moritz, etc Ces aventures ont définitivement ancré l’amour de l’automobile au plus profond de moi et c’est ainsi que ce virus ne m’a plus lâché depuis.
Comment avez-vous déniché vos voitures de collection ?
Complètement obnubilé par l’automobile, j’ai procédé pendant quelques années après mes études, à des ventes pour acheter mieux et davantage : Aston- Martin DB2, Maserati 3500Gt, Lancia Flaminia Zagato, Alvis TA14 cabriolet. Puis en 1991 j’ai franchi le grand pas : faire de ma passion un vrai métier. Aujourd’hui je dispose d’un grand réseau de «rabatteurs» ; personnages originaux, âgés, passionnés qui en toute discrétion et confiance, chinent pour mon compte des voitures ou collections cachées, oubliées, successions ou simplement des voitures en vente. Aujourd’hui mon business me permet de vivre pleinement ma passion. Sur mon site Internet, mes clients potentiels qui sont bien entendu de vrais passionnés peuvent avoir une idée sur les voitures que je mets en vente ainsi que celles déjà vendues. On y trouve parfois de vraies perles, rarissimes. S’agissant de la première catégorie, deux véhicules sont des modèles difficiles à trouver : la Renault Viva Grand Sport qui est un rarissime et élégant cabriolet avec pare-brise rabattable et la Tatra T87, véhicule aussi rarissime, exposé dans un musée privé suédois depuis les années 1960. Quant aux voitures déjà vendues, je citerai en premier lieu ma plus grande découverte : une Delahaye 135 Competition Roadster Par Figoni et Falaschi de 1938, qui est tout simplement une oeuvre d’art sur roues. Après avoir été restauré, ce véhicule a fait Best of Show au Concours d’Élégance de Pebble Beach en 2000. Jajouterai également l’Alfa-Romeo 1900SS Zagato Elaborata de1955, qui est un véhicule de compétition exceptionnel, que j’ai vendu en 1996 ou encore une Alfa-Romeo 6C1750GS Roadster de1930 carrossée par Carrozzeria Sport Milano, véhicule absolument authentique, caché pendant 45 ans, que j’ai cédé en juin 2001. Certaines pièces ont un pedigree de voiture de course comme l’Alfa-Roméo Giulietta Sprint Veloce Allegerita de 1957 qui a été la première Alfa du rallyman Jean Rolland ou la dernière monoplace Lotus Type 45, construite en 1965.
Comment procédez-vous à la restauration de vos voitures ?
Avec passion, je sélectionne personnellement tous les véhicules mis en vente, mes critères étant la rareté et la qualité. Certains sont présentés en état d’origine ou ont été professionnellement restaurés, d’autres sont des projets de restauration. Lorsque c’est le cas, je dispose d’un mécanicien passionné qui prépare mes voitures en vente. Il s’agit souvent d’une remise en marche d’un véhicule après une longue période d’immobilisation : remise en route mécanique, démontage et nettoyage de l’intérieur, polish de la peinture et des chromes. Tout ce qui a de plus classique dans le domaine de la restauration, en somme. Selon l’état des voitures, ces travaux peuvent être assez conséquents et se rapprocher d’une restauration en bonne et due forme. Là, tout un travail artisanal est mené par de vrais professionnels, pour rendre à la voiture son lustre d’antan.
Avez-vous déjà songé à importer une voiture de collection de l’étranger ?
J’importe parfois en Suisse des voitures de l’étranger et j’exporte régulièrement vers l’Europe. Mes affaires sont aussi intra-européennes et je ne m’en plains pas. Seul bémol, les législations sont assez compliquées et différentes d’un pays à l’autre. Le pire étant le manque de clarté dans les différentes tarifications douanières, ce qui ne manque pas de compliquer les transactions entre les opérateurs dans ce domaine.
Avez-vous déjà participé au Rallye Classic du Maroc?
Je ne fais que très peu de rallyes, car je suis passionné davantage par l’automobile comme objet d’art que de locomotion. Chaque voiture de collection est le témoin d’un savoir-faire artisanal et d’un style de vie d’une époque révolue. Elle est également une oeuvre d’art en mouvement, parfois dotée d’une mécanique de compétition ou d’une carrosserie exceptionnelle. J’estime qu’avec des véhicules non restaurés, totalement authentiques on devrait être à la fois humble et respectueux. Un strict état d’origine est quelque chose d’irremplaçable.
Les collectionneurs sont en butte à des problèmes liés à la visite technique, à l’assurance. Que pouvez-vous nous en dire ? ….
La voiture de collection devenant de plus en plus un marché de loisirs, les prestataires de services vont découvrir cette niche et créer des produits ou départements spécifiques à la voiture de collection, ceci d’autant plus que les amateurs de voiture de collection disposent d’un porte-monnaie supérieur à la moyenne.
Que pensez-vous de l’idée de constituer un club pour faire entendre la voix des collectionneurs ?
C’est très bien, mais les clubs devraient aussi se fédérer entre eux pour parler d’une voix commune. Vue de mon exposition : Alvis TE 21 Graber Super cabriolet, 1965 et Alfa Romeo 1900 Berline Abarth, 1951. Le fait d’avoir différents sons de cloche ou des luttes pour le leadership ne sert nullement la cause des collectionneurs. L’exemple français est éloquent à cet égard, avec la Fédération française des véhicules d’époque, qui fait un travail de lobbyisme remarquable.
Quelle est la voiture de collection qui vous fascine le plus ?
Ma prochaine découverte, que je ne connais pas encore. Surtout si elle est dans un état strictement d’origine, quasi parfait et oubliée depuis longtemps.
À part les voitures, quels sont vos autres hobbies ?
Je suis amateur, comme tout Suisse, de balades en montage, à ski ou de randonnées pédestres. Par ailleurs, j’ai été amateur de voile et j’ai participé au «Bol d’Or» qui est la plus grande régate en eau douce. Enfin, les belles choses, les beaux objets en général me parlent, notamment la peinture suisse, ou les périodes de l’Art nouveau et de l’Art déco.