De par son origine, Jürgen Clauss aurait pu être amoureux de Porsche, de Mercedes ou de BMW, mais c’est Alpine qui l’a choisi comme il se plaît à le repéter. Dans son Alpine-Lab, un garage-laboratoire, l’orfèvre restaurateur s’applique depuis trente ans à ressusciter les modèles de course cultes de la marque. Son intention était de créer une plateforme pour les puristes, les amis et les amoureux de l’Alpine A110, qui ont aussi dû succomber à la fascination et à l’attraction de cette voiture de course française, ou ceux qui sont encore sur le point de le faire. ‘‘
A l’affût de toute information technique et historique lui permettant de mieux explorer les entrailles des ‘‘Alpine“, Jürgen Clauss cherche à redonner le lustre et le charme authentique des grandes époques à ses voitures sans se dévoyer de la pensée du fondateur Jean Rédélé. Dans sa collection, les amateurs pourront s‘extaser devant l’Alpine 1100 Tour de France, un modèle lancé en 1965, à la carrosserie blanche et aux lignes chromée.
Dans cet entretien accordé au Magazine Gentlemen Drivers, Jürgen Clauss revient sur les moments clés de sa relation viscérale avec l’Alpine pour laquelle il éprouve une passion dévorante qui ne s’est pas étiolé avec les années.
Avant de tomber amoureux d’Alpine, aviez vous un background en automobile?
Depuis 25 ans, je dirige ma propre petite entreprise spécialisée dans la rectification de profils métalliques de haute précision pour les outils de moulage. J’ai créé ma propre entreprise en 1990 après avoir suivi deux formations en tant que commerçant et après la guerre en tant qu’outilleur. Durant l’enfance, la voiture n’occupait ps une grande place dans mes centres d‘intêret. En effet, à l’âge de 14 ans, j’ai commencé à faire du vélo, des courses sur route et sur piste. Nous sommes une famille de cyclistes et les voitures ou les motos n’étaient pas très à la mode dans notre famille à l’époque. Bien que mon père ait grandi près du célèbre circuit de Solitiude, près de Stuttgart, nous étions tous principalement concentrés sur le cyclisme et n’avions aucune expérience du sport automobile.
Quand et comment avez-vous découvert Alpine? Quand avez-vous acheté votre première Alpine?
J’ai découvert l’A110 très tôt, à l’âge de 12 ans environ. Lors de mes promenades quotidiennes à vélo, je rencontrais souvent cette voiture de sport française bleue et plate et j’étais ravi à chaque que mon regard la croisais. Petit à petit, je fus épris de l’envier d’en posséder une un jour, mais à cette époque j’étais trop jeune et je n’avais ni permis de conduire ni argent.
Plus tard, à l’âge de 20 ans, j’ai commencé à en savoir plus sur l’A110 et à l’âge de 25 ans j’ai acheté ma première A110 1300 cc au milieu des années 80. Seulement quelques mois avant l’achat de ma première A110, j’ai acheté une VW Golf GTI toute neuve, que j’ai gagné en travaillant dur durant mon temps libre dans différentes compagnies parallèlement à mon travail principal. En 1985, le temps était venu d’acheter mon premier A110. Je n’avais pas beaucoup d’idée sur l’A110 et comment la restaurer. En tout cas, j’ai vendu ma GTI toute neuve et j’ai acheté une A110 1300 cc bleue. La voiture était en bon état en général et complètement originale, mais elle avait beaucoup de rouille sur le châssis et avait besoin d’une nouvelle peinture. J’ai donc commencé ma première restauration sur cette voiture en 1985.
Combien d’A110 avez-vous eues depuis? Que faites-vous avec vos Alpines (rallyes, courses, balades, réunions…)? Quels sont les modèles exacts de vos Alpine actuelles? Où les trouvez-vous?
Je possède cette A110 1300 cc depuis presque 20 ans. Je l’ai entièrement restaurée et l’ai utilisée sur plusieurs rallyes de régularité ou courses de côte. Pendant cette longue période, c’était parfois une sorte de relation « amour et haine ». J’adorais conduire cette berlinette, car elle était si agile, légère et puissante. J’étais aussi totalement amoureux de la forme et du style de la voiture car elle ne devient jamais ennuyeuse ou usée. Le seul bémol était la fiabilité insuffisante de la voiture. J’ai eu quelques pannes lors de rallyes ou de courses de côte, ce qui m’a conduit à vendre la voiture en 2000.
A cette époque, je me suis dit que ma relation avec Alpine touchait à sa fin et que j’allais arrêter tout ce qui concernait cette marque. J’ai également vendu les pièces détachées qui me restaient.
Un jour, un Suisse est entré chez moi pour m’acheter des pièces détachées. Nous avons eu une conversation agréable sur nos affaires similaires et il m’a invité à venir en Suisse, ce que j’ai fait quelques semaines plus tard.
Pendant cette visite, il m’a montré une grande collection d’A110, et c’est ainsi que je fus infecté de nouveau avec le virus Alpine. J’ai recommencé à zéro et j’ai cherché à trouver une A110 désirable en version 1300S ou 1600S.
Quand avez-vous commencé à restaurer des anciennes Alpines? Est-ce que vous restaurez des voitures seulement pour vous ou est-ce que vous travaillez aussi pour d’autres collectionneurs?
En 2001, j’ai recommencé à chercher des A110 en bon état et d’origine et je me suis concentré sur les modèles « S ». Ce n’était pas facile de trouver de bonnes voitures. La plupart des voitures étaient modifiées et loin d’être originales. J’ai donc décidé de trouver de bons exemplaires de la version « S », qui valaient la peine d’être restaurés. Entre 2001 et 2007, j’en ai trouvé quelques unes, la plupart en mauvais état et je les ai toutes restaurées. Finalement, je me suis retrouvé en possesion d‘environ 8 à 10 A110 version street 1300S, 1600S ou 1600SC. Je les ai restauré du mieux que j’ai pu et j’ai amélioré ainsi ma qualité de restauration. Toutes les voitures restaurées ont enrichi ma collection privée.
Inspiré par de vieilles images et films de course, je rêvais de posséder une vraie berlinette de course. J’ai donc recommencé à chercher des voitures de compétition ayant un historique de course significatif. C’était un peu comme chercher une aiguille dans une botte de foin.
Combien d’Alpine avez-vous restaurées? Comment travaillez-vous? Avez-vous des contacts en France pour les pièces détachées?
Ma première vraie berlinette de compétition, je l’ai trouvée en 2006 environ. C’était une A110 1300S de 1969 avec une carrosserie légère et un réservoir central. La voiture était totalement modifiée avec de grandes ailes et des spoilers mais les numéros de série étaient corrects et je l’ai achetée. J’ai fait une restauration complète du châssis de cette voiture et l’ai ramenée à son état d’origine. J’ai été totalement enthousiasmé par les caractéristiques spéciales de compétition dont ce type de voitures était équipé par l’usine. Je me suis senti amoureux de tous les petits et beaux détails de cette voiture et j’ai essayé d’apprendre autant que possible, pour la reconstruire aussi près que possible des standards d’usine. Ce n’était pas très facile, parce qu’il n’y avait aucun livre ou manuel pour m’aider à restaurer une voiture de compétition A110 conforme à la période. J’apprenais par la pratique, en étudiant les vieilles photos de course pour améliorer mes connaissances sur les versions de compétition.
D’année en année j’apprenais de plus en plus comment l’usine travaillait et j’ai découvert beaucoup de détails spéciaux, en travaillant sur les voitures qui n’ont jamais été documentées. Seuls les initiés connaissent les détails cachés et les équipements spéciaux. Jusqu’à aujourd’hui, j’ai restauré environ 16 à 18 A110 juste pour ma propre collection. Je ne travaille pas pour d’autres personnes, à cause du manque de temps. Restaurer un A110 par une personne seule est un travail très dur et pas facile. J’ai été motivé par la passion et l’enthousiasme pour accomplir tous mes objectifs de restauration et croyez-moi, j’ai pensé des milliers de fois à abandonner.
Si je regarde en arrière aujourd’hui, il me semble un peu irréel le fait d’avoir trouvé et restauré un certain nombre de berlinettes de compétition très rares et uniques. Je les ai fait renaître de leurs cendres pour leur rendre leur gloire d’antan, ce qui n’était pas mon intention au départ. D’une certaine manière, cette passion génère son propre élan qui est devenu en quelque sorte « hors de contrôle ». Pendant mes recherches pour une voiture, j’ai trouvé la trace d’une autre. Donc, en fin de compte, je peux dire que je n’ai pas exactement cherché chaque voiture, mais je pense que ces voitures m’ont trouvé, plutôt que l’inverse. Alpine semble être mon destin….
Pourquoi avez été particulièrement attiré par Alpine, plutôt que par Porsche ou Audi? Qu’est-ce que vous aimez dans Alpine par rapport aux marques allemandes?
Les A110 sont spéciales à bien des égards et même les versions de course sont incroyablement uniques et spéciales, ce qui n’est pas visible à la première vue. Elles se ressemblent toutes et il faut se familiariser avec ce genre de voitures pour comprendre pourquoi l’usine a fait ceci ou cela, pour rendre les voitures plus compétitives et différentes des versions de route. Se familiariser avec ces voitures prendra de nombreuses années et ce n’est pas aussi facile que de posséder une Porsche ou une Mercedes.
Je suis fondamentalement un perfectionniste et j’ai appris à l’être par ma profession principale de producteur de composants de haute précision pour l’industrie du moulage. Normalement l’Alpine A110 ne semble pas être la bonne voiture pour un perfectionniste. L’A110 n’était pas si bien conçue ou développée comme une Porsche 911 ou une Mercedes, elle était plutôt improvisée que conçue, ce qui mène à la fin à moins de fiabilité et à des faiblesses sur les composants techniques.
Mais ce n’est pas ce qui compte pour moi. Je dois être inspiré par une voiture, le tout premier regard doit être époustouflant, la voiture doit me « parler » pour que je tombe amoureux d’elle. C’est ce qui se passe avec l’A110. J’étais et je suis encore aujourd’hui totalement amoureux de son look, de sa forme et bien sûr de son expérience de conduite. Essayez de trouver une voiture de cette période, qui est comparable dans la manipulation, l’agilité et l’expérience de conduite et vous découvrirez immédiatement qu‘il n’y en a presque pas. Bien sûr, les célèbres marques allemandes comme Porsche, Mercedes et Audi sont de très bonnes voitures, bien conçues et d’une fiabilité exceptionnelle, comparables à une A110. Pour être honnête, je possède toujours une Porsche 911 2.7RS de 1973 et je l’aime toujours, mais je suis loin d’être aussi passionné que pour mes A110. Pour un allemand comme moi, les marques allemandes sont tout à fait normales et parfois un peu ennuyeuses, ordinaires et moins inspirantes. Mes yeux cherchent toujours quelque chose de spécial et de beau. Mes yeux veulent être gâtés par une belle forme ou de beaux détails.
Alpine a-t-il beaucoup de fans en Allemagne? Êtes-vous en contact avec eux?
Je suis sûr qu’il y a une grande communauté de fans d‘Alpine en Allemagne. Je suis en contact avec quelques propriétaires d’Alpine qui partagent le même passion que moi. La plupart des autres propriétaires d’Alpine sont intéressés par le tuning ou des modifications sur leurs voitures, ce qui n’est absolument pas mon cas. Je suis un puriste et j’aime restaurer et conduire les voitures comme Jean Redele les a construites – vraiment authentiques et originales. Je ne suis pas un fan des modifications et pour autant que je sache, Jean Redele déteste voir des modifications sur ses voitures. Je suis tout à fait d’accord avec lui!
Malheureusement, l’A110 s’est avérée être une cible prisée les actions des tunners au cours des dernières décennies. Les modifications et les mises à niveau dans différentes variations sont communes pour ce genre de voitures. Je me suis demandé des milliers de fois pourquoi cette pratique est si populaire s’agissant d‘Alpine. Chaque voiture a un aspect différent et il semble que personne ne se soucie de l’originalité. Au fil des années, j’ai cessé de visiter les meetings d‘Alpine, car je n’étais pas intéressé de voir de plus en plus de voitures modifiées et mal restaurées.
Cette évolution me force à lutter contre ces activités de tuning, parce que dans mon esprit je suis totalement convaincu que la marque Alpine et surtout l’A110 mérite beaucoup plus que d’être une voiture transformée en monstre laid. L’A110 est une voiture classique très spéciale et unique, qui n’est pas bien connue dans les pays étrangers hors de France et qui reste un peu à l’écart dans le monde des voitures classiques. A mon avis l’A110 reste un peu oubliée et sous-estimée. Mon intention est de changer cette image un peu. Je veux montrer la beauté de l’originalité et c’est ce que j’essaie de faire sur ma page alpineLAB.
Est-ce votre première visite à la Villa d’Este ou y allez-vous chaque année? Qu’est-ce que vous aimez là-bas? Comment est l’atmosphère? Y a-t-il beaucoup d’Alpine là-bas? Est-ce un endroit agréable pour célébrer l’élégance des Alpes?
Cela fait des années que j’envisage de participer à des événements prestigieux comme la Villa d’Este ou Goodwood. Après avoir participé aux « Schloss Dyk Classic Days » en 2014, j’ai décidé de participer au Concorso de la Villa d’Este cette année, même l’organisateur a annoncé d’une catégorie parfaite pour l‘A110 en 2016. « Heroes of the special stages » est la catégorie dans laquelle je me suis inscrit avec mon A110 1800 Gr. IV, championne du monde en 1973.
A mon avis, il est temps qu’une A110 soit montrée dans des expositions prestigieuses de voitures classiques comme celle-ci. j’ai également participé au très célèbre et prestigieux événement de voitures classiques « The Quail » 2016, qui fait partie de la Monterey Car Week en Californie / USA. Ce fus aussi la première fois, qu’un exemple d’A110 soit présent sur la pelouse de la Quail cette année.
Toutes ces activités sont mes initiatives privées que j’ai financé personnellement car je n’ai aucun sponsor et aucun soutien. Je suis sûr que vous pouvez imaginer que tout cela demande beaucoup d’efforts, de temps et bien sûr de fonds pour le réaliser. C’est ainsi que je vis ma passion.
Selon vous, quel est le charme particulier de l’Alpine A110?
Si je regarde mes voitures, mes yeux sont gâtés par de nombreux petits et beaux détails. Bien sûr, pour une personne lambda, toutes les voitures se ressemblent, mais en réalité elles sont toutes différentes. En commençant par l‘A110 1100 « Tour de France » minuscule et charmante, avec sa petite carrosserie, elle montre une beauté et une élégance pures. Plus tard, les larges carrosseries Gr. IV représentent la puissance et le dynamisme avec leurs grandes roues, leurs moteurs puissants et leur look agressif. Même la peinture bleue métallisée brille différemment sur chaque voiture, car l’usine change le mélange de la peinture d’année en année.
Vous avez dit qu’une Alpine est comme une sculpture, pouvez-vous expliquer cela?
Aristote a dit: « Le tout est plus que la somme de ses parties ». Je suis tout à fait d’accord avec Aristote, mais néanmoins, chaque partie en soi peut être intéressante et belle et mérite un regard différent. Plusieurs éléments magnifiques dans leur ensemble mènent à une œuvre d’art. C’est la façon dont je fais mes restaurations. Je traite chaque pièce détachée comme un diamant précieux et je l’intègre dans l’ensemble. A la fin, chaque pièce traitée par mes mains trouve sa place dans une forme parfaite. Peut-être ne s’agit-il pas seulement d’un travail de restauration? Parfois les gens disent que c’est une sorte de modélisation à l’échelle 1:1. Je déteste personnaliser ou modifier l’A110, parce qu’il a quitté l’usine dans une forme parfaite. Donc la personnalisation pour moi, c’est un peu comme « peindre la Mona Lisa ».
Comment définissez-vous le style Alpine?
Le look et le style Alpine sont différents des autres et ont toujours été uniques et spéciaux. Posséder et conduire une Alpine présuppose une plus grande affinité avec la marque par rapport à la possession de voitures d’autres marques. Vous devez vous identifier à la marque et à la voiture, vous devez vivre avec des limites et une sorte de charmant laisser-aller français, ce qui vous conduit à des expériences de conduite spéciales. Alpine n’a jamais suivi le courant dominant, elle était différente à l’époque et l’est toujours aujourd’hui.
Je suppose que vous avez suivi la renaissance de la marque avec l’Alpine Vision? Que pensez-vous de cette nouvelle version? Respecte-t-elle l’esprit et l’élégance Alpine? Allez-vous devenir aussi accro à la nouvelle Alpine Vision que vous l’êtes à l’ancienne A110?
En gros, j’ai beaucoup aimé ce qui a été accompli avec la nouvelle Alpine Vision. Le design est magnifique et la filiation avec l’A110 est clairement visible. En particulier, l’intérieur est comme je l’aime, sportif, moderne et classique. De toute évidence, presque toutes les marques célèbres et prestigieuses prennent soin de leur héritage et lancent de nouveaux modèles au look rétro. Elles utilisent leur histoire automobile pour lancer de nouveaux modèles, ce qui me plaît beaucoup. Pourquoi Renault ne le ferait-il pas? Renault devrait continuer dans cette voie et créer quelque chose de spécial, comme Jean Redele l’a fait à l’époque. A mon avis, il était temps de faire revivre la marque Alpine, parce qu’Alpine a une histoire fantastique qui vaut la peine d’être ravivée. Il y a beaucoup de voitures similaires sur le marché comme l’Audi TT, la Porsche Cayman, la Lotus Exige etc…et il ne sera pas facile pour la nouvelle Alpine de s’imposer sur ce marché. Je suis sûr que vous le savez aussi. A mon avis, il n’y a qu’un seul moyen pour qu’Alpine ait du succès: oser quelque chose de spécial que les autres n’attendent pas.
Biographie:
1966: naissance dans le sud de l’Allemagne, près de Stuttgart.
1990: crée son entreprise spécialisée dans les outils de moulage
2016 : participe au Concours d’élégance de la Villa d‘Este