Né en 1965 en Sardaigne, Flavio Manzoni a grandi dans une famille où le dessin et l’art étaient omniprésents. Influencé par son père architecte, il entreprend des études à l’Université de Florence, mais sa passion pour l’automobile finit par prendrel e dessus. Après une spécialisation en design industriel, il a rejoint le studio de design de Lancia, une marque qu’il affectionne depuis sa tendre enfance. Après un passage chez Seat à Barcelone, il décide de revenir à ses premiers amours, à savoir les modèles Lancia et se donne pour mission d’offrir à la marque italienne une renaissance à la hauteur de son passé historique. En 2010, il est nommé à la tête du design de Ferrari, pour succéder à Frank Stephenson. Il a reçu de nombreuses récompenses pour des modèles conçus et produits depuis sa nomination. Rencontre avec un homme qui a pour mission de veiller à conserver les valeurs historiques de Ferrari, tout en faisant évoluer la marque. Flavio Manzoni, ou l’histoire d’une passion avant tout.
Comment est née votre passion pour l’automobile ?
Mon père était architecte et un très grand fan des voitures Lancia. Il possédait un Fulvia et un Fulvia Coupé et j’ai toujours admiré ces voitures. J’ai aimé leur beauté et même l’odeur des intérieurs. Mes frères et moi avions l’habitude de passer des heures à les dessiner et l’un de nos passe-temps favoris était d’imaginer et de dessiner de nouvelles voitures, dans les moindres détails.
J’ai vraiment eu la chance de grandir dans une famille qui m’a appris la valeur de la curiosité et une culture interdisciplinaire, avec la passion pour l’art et la musique. J’étais vraiment enclin à devenir architecte, designer, artiste ou musicien. Mon éclectisme m’a influencé probablement à choisir les études en architecture, mais dès le départ avec différentes options, pas seulement le design automobile.
Vous avez étudié l’architecture et le design industriel à l’Université de Florence. Il vous a été difficile de choisir entre devenir architecture ou designer automobile ?
Le choix n’était pas facile. Compte tenu de mon inclination éclectique, je pensais peut-être de façon utopique que je pourrais être capable de faire beaucoup de choses dans différents domaines créatifs ! Depuis l’âge de quatorze ans, j’ai collaboré avec mon père et ce fut un grand plaisir de réaliser quelques projets architecturaux. Puis j’ai compris qu eje devais prendre une décision. L’architecture représentait pour moi une grande passion, mais mon penchant pour le monde de l’automobile était nettement plus fort.
Pour ce qui est de ma relation avec le design automobile, je dois dire que ce genre d’études et d’expériences professionnelles m’ont donné beaucoup d’inspiration et, dans l’ensemble, une véritable approche multidsciplinaire dans le domaine du design.
J’ai eu l’occasion de rencontrer des maîtres et grands noms du design et de l’architecture italiens, tels qu’Achille Castiglioni, Giovanni Klaus Kœnig, Roberto Segoni, Remo Buti, Adolfo Natalini, lequel venait de de fonder à Florence Superstudio, un groupe de design avant-gardiste à l’époque.
Quand vous étiez encore étudiant, qui était une référence pour vous?
Je pense aux années soixante, une époque passionnante du point de vue créatif, où les maîtres italiens du design automobile ( de Giorgetto Giugiaro à Marcello Gandini) ont vraiment su exprimer leur talent extraordinaire et leurs capacités d’imagination.
Le prototype Lancia Stratos, l’Alfa Romeo Carabo, la Maserati Boomerang et la Pininfarina Modulo peuvent être considérés comme de véritables jalons de l’histoire du design automobile. Vous savez, chaque chef-d’oeuvre du passé vient d’une sensibilité artistique, d’une intuition ou d’un coup de génie, qui le rend unique. Si nous regardons les œuvres du design italien réalisées dans les années 60 et 70, la prétendue période du design « techno-chic », nous remarquons qu’elles ne se sont aucunement inspirées du passé.
Ces œuvres représentaient la société contemporaine, avec sa demande et son rêve de modernité. Je crois que c’est le plus grand enseignement que nous avons reçu.
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre début de carrière au Centro Stile Lancia?
Les années chez Lancia ont été une expérience extraordinaire. Les designers de voitures comme Pietro Camardella, Marco Tencone, qui venait directement de chez Pininfarina, Alberto Di Lillo, Adriano Piovano et moi-même, formions une très belle équipe. Le Lancia Style Center étaient à l’époque l’un des meilleurs endroits pour apprendre le métier complexe de concepteur automobile, dans lequel les compétences techniques et les expériences artistiques s’entremêlent. Dessiner une voiture est un art qui implique une série de règles non structurées. C’est un Métier à apprendre sur le terrain. L’équilibre d’une forme, les proportions d’un volume, la tension qui doit être donnée aux courbes qui marquent le profil de l’objet, exigent une grande maîtrise et beaucoup d’attention. Pour cela il faut avoir l’œil, mais aussi le coup de crayon qui va avec.
Au fil du temps, j’ai compris et apprécié le sens et la valeur de cette expression dans le design automobile, pour marquer l’importance de l’harmonie, pour connaître l’équilibre et la tension en premier lieu. Même en concevant une montre-bracelet ou un fauteuil, comme récemment mon équipe de Ferrari Design et moi-même avec Hublot (Techframe) et Poltrona Frau (Cockpit) l’avons fait, cette approche a permis de concevoir les choses d’une manière différente.
Quels ont été les projets les plus importants pour vous à ce moment-là ?
La lancia Y, une nouvelle génération de voitures compactes, propose des solutions formelles originales et des intérieurs innovants, avec une instrumentation au centre du tableau de bord, entre le conducteur et le passager. Puis le concept car Dialogos, caractérisé par l’intégration de références iconologiques et linguistiques, aux racines de la marque Lancia, mais entièrement projetées dans le futur, avec une disposition flexible des intérieurs, conçue comme un habitat hyper-technologique et convivial. A cette même période, j’ai travaillé avec le Lancia Styling Center, pour la marque Maserati, réalisant l’intérieur de la Maserati 3200 GT.
Qu’en est-il de votre expérience à Barcelone, en tant que directeur du design d’intérieur de SEAT?
C’était ma première expérience internationale et je pouvais connaître une population et un pays différents. J’ai travaillé pendant trois ans en première ligne avec Walter de Silva et Wolfgang Egger, pour donner une nouvelle empreinte à la marque Seat, en créant un Style Center à partir de zéro et en affrontant la vision et la méthodologie teutonique du groupe Volkswagen.
Pourquoi avez-vous décidé de revenir chez Lancia en 2001? Qu’est ce qui était différent?
C’est ma passion pour cette marque qui m’a poussé à revenir. Je voulais vraiment contribuer à sa renaissance. J’avais ce rêve de donner un nouvel élan à Lancia malgré une situation financière difficile à travers des projets que Stilnovo et la nouvelle Fulvia. Ce n’était pas seulement des exercices de style mais des solutions possibles pour le développement de produits.
En 2010, vous avez rejoint Ferrari en tant que senior vice-président du design. Quelle était exactement votre mission?
Depuis que Ferrari a décidé de créer un centre de style interne sous ma direction, notre objectif a été de travailler côte à côte avec tous les autres départements.
Ce ne sont plus des professionnels travaillant seuls et essayant d’habiller une certaine voiture, mais un processus beaucoup plus organique de conception, où la forme est conçue dans son ensemble, avec l’âme de chaque produit. C’est ce que nous appelons un « processus holistique ». Une voiture Ferrari nécessite de très hautes compétences technologiques et leur mise en oeuvre ne peut simplement être attribuée à une somme de plusieurs parties différentes, mais il y a toujours une vision globale – et une valeur ajoutée – qui motive le développement du projet.
J’ai eu la tâche de constituer progressivement une équipe et un personnel, capables de gérer le budget, le calendrier et la planification stratégique. Alors qu’auparavant cela se faisait en externe. L’effort le plus important a été de capitaliser sur le large patrimoine technique, mais aussi culturel de Ferrari, qui représente une grande valeur pour l’Italie.
Le centre de design Ferrari, qui a ouvert ses portes en 2010, donne à tous les designers l’opportunité de travailler en synergie avec les autres départements, dans le but de créer une forte symbiose.
Je tiens à souligner cet aspect, car une particularité de l’activité de Ferrari Design est précisément la synergie entre les designers, les ingénieurs et les techniciens. Cette synergie s’est révélée fructueuse, principalement quand il s’agit de pièces de réglage fin, qui ont une valeur ergonomique, par exemple ou aérodynamique. C’est un facteur clé pour des voitures de haute performance comme le sont les Ferrari. Dans la même mesure, l’étude de l’aérodynamique et des flux, gérée par des codes de calcul spécifiques CFD ( Computational Fluid Dynamics), aborde l’approche conceptuelle, depuis les premières étapes de chaque nouveau projet. Notr tâche de d’arbitrer les besoins techniques et formels et de développer, en parallèle, les activités de modélisation numérique et en trois dimensions, avec un « mélange » positif des technologies les plus avancées et de l’expérience de fabrication manuelle.
Quel a été le premier projet sur lequel vous avez travaillé?
Le premier modèle Ferrari que j’ai réalisé en tant que directeur du nouveau département de design Ferrari est la F12 Berlinetta. Notre objectif était de développer une connexion entre l’identité actuelle de la marque et ses origines. Mais notre stratégie ne reposait pas sur une répétition rhétorique d’éléments visuels, que le public connaissait déjà. bien au contraire, nous avons essayé d’extraire et de synthétiser la cohérence typique de Ferrari, à travers un nouveau langage contemporain, d’esthétique et de principes de dessin. Pendant la phase de recherche conceptuelle de la F12 Berlinetta, j’ai participé à la fois au design extérieur et intérieur. Nous avons commencé en même temps avec la mise en place du nouveau département Design.
Nous n’avions pas encore notre propre espace, ni des outils dédiés, et le projet F12 Berlinetta représentait concrètement le point de départ de toutes ces nouvelles activités de design à Maranello.
En 2011, vous avez été inclus dans le Hall of Fame du design automobile au Musée national de l’automobile de Turin. Qu’est ce que cela signifie pour vous?
Je n’y pense pas vraiment … Je crois que nous ne devrions jamais nous reposer sur nos lauriers ! Quoi qu’il en soit, je suis honoré de cette reconnaissance et je veux la partager avec toute l’équipe de Ferrari Design et les gens qui travaillent dans l’entreprise. Je dois admettre que nous vivions une expérience extraordinaire. Nous nous engageons quotidiennement pour atteindre l’excellence dans chaque nouveau produit et à chaque étape du processus de conception. La naissance de chaque nouvelle Ferrari est dans un sens un rêve qui devient réalité. Et je ne pense pas seulement à ces gens chanceux qui peuvent l’acheter. C’est un voyage, je dirais aussi complexe qu’intrigant. En même temps, c’est un défi car chaque jour nous sommes devant un mythe et pas seulement une marque de voiture. Tout cela nous pousse à nous fixer des objectifs de plus en plus élevés. Nous voulons être en mesure de répondre aux attentes de nos clients et de nos fans du monde entier.
Sous votre direction, quatre Ferrari ont remporté le » Red Dot Award « : FXX K, California T, LaFerrari et Ferrari 488. Quel modèle est votre préféré?
C’est sans conteste, LaFerrari, j’ai une relation très particulière avec ce projet. Au centre de design Ferrari, nous avons immédiattement compris que nous allions faire une voiture inédite, un de ces « spéciales » comme Ferrari en contruit tous les dix ans à peu près. Ce sont des modèles qui ont marqué l’histoire de Ferrari, grâce à leur technologie dans, sa plus haute expression, mais aussi grâce à leur évolution esthétique. Il aurait donc été étrange pour LaFerrari de ne pas devenir un « manifeste » de la nouvelle ère stylistique qui a débuté en 2010 avec la naissance du Centre de Design interne. LaFerrari nous a permis de relever quelques problèmes clés dans le développement du langage formel. Deux aspects en particulier ont influencé le développement du projet : la dimension du rêve et le sens de la responsabilité qu’un tel déi a imposé, rappelant sans cesse notre intérêt pour la meilleure intégration technique et formelle possible.
Pour LaFerrari, la cabine et le compartiment moteur sont intégrés dans l’empattement, pour permettre le meilleur équilibre possible des masses. Le « mouvement » des surfaces qui en résulte crée une certaine tension, qui recouvre la capsule centrale de l’habitacle, la mettant en valeur, générant le caractéristique « delta front », une sorte d’aile suspendue sur les côtés de la carrosserie.
Cependant, je dois avouer que j’aime aussi le FXX K, un projet lié à LaFerrari mais différent, dans le sens où normalement le Style Center ne travaille pas sur des voitures de course aussi radicales. La FXX K est une voiture de très haute performance pour les collectionneurs qui aiment les supercars. La FXX K a été conçue pour atteindre des performances extrêmes, à la limite de la recherche technologique actuelle dans ce domaine. Travailler sur la FXX K était une vraie partie de plaisir, malgré toutes les contraintes que nous avions reçues. C’est un objet vraiment extrême et radical, une vraie voiture futuriste.
Comment voyez-vous le futur de Ferrari?
La mission pour moi et l’équipe de Ferrari Design est d’aller de l’avant. L’objectif est d’anticiper le développement de l’automobile d’une manière originale et non banale, afin de pouvoir se projeter dans le futur. Nous essayons constamment de trouver un équilibre entre le respect de la tradition et l’audace de la modernité. tous les projets sur lesquels nous travaillons sont basés sur ces principes. Je ne peux rien ajouter d’autre, mais depuis que le président Sergio Marchionne est arrivé à la tête de Ferrari, il a lancé des projets stratégiques, avec une vision incroyable, très inspirante, dont vous verrez les résultats dans un avenir très proche. Vous allez être agréablement surpris, je vous le garantis !