Surtout connu comme un homme d’affaires important de la capitale du Souss, Ahmed Zerkdi l’est moins en tant que grand amateur de l’automobile classique. Pourtant, ce natif d’Agadir, depuis sa tendre enfance, cultive une grande attirance pour les voitures. Sa vie d’adolescent, puis de jeune universitaire et, plus tard, de chef d’entreprise, s’articule autour de ce rapport viscéral à l’automobile. Même l’architecture de sa demeure a été pensée autour de la voiture. Bien que disposant de nombreuses pièces de valeur, Zerkdi se définit moins comme un collectionneur, que comme un vrai passionné. Son trip consiste à réparer, de ses propres mains, des voitures qu’il achète souvent dans un état délabré. Et son plaisir, il tient à le communiquer autour de lui en parrainant, par exemple, les amateurs qui n’ont pas les moyens de vivre à fond leur hobby. C’est d’ailleurs la philosophie qui sous-tend le club d’anciennes voitures d’Agadir dont il est membre fondateur. À travers cet entretien, Zerkdi souhaite communiquer aux lecteurs de Gentlemen Drivers sa passion pour l’automobile qu’il vit à 200 à l’heure.
Comment avez-vous attrapé le virus de la passion pour l’automobile ?
Ahmed Zerkdi. La réponse à cette question est un peu compliquée. Je pourrais simplement dire que j’ai grandi avec cette passion. Je me rappelle, étant tout petit, que j’allais dans les parcs pour regarder les voitures. À l’époque, les Gadiris avaient surtout des Opel, des américaines et quelques Volkswagen. Le berbère allait toujours vers l’arrière-pays, et il préférait les allemandes pour leur robustesse. J’ai pu également assouvir ma curiosité pour les voitures chez mon oncle qui était l’un des plus grands ferrailleurs de la région. Il avait un grand dépôt où on pouvait trouver des Studebakers et toutes sortes d’autres voitures. J’avais également des jouets comme les autres enfants. Je me rappelle que je construisais des petites voiturettes avec des roulements à billes que je récupérais au dépôt de mon oncle. Ma passion pour l’automobile a grandi au fil des années et quand je suis arrivé au collège, j’ai carrément construit un kart. Je l’ai équipé d’un moteur de mobylette que je démarrais à l’aide d’une corde. Je n’avais aucun mal à trouver les matériaux et les outils pour bricoler et souder, car nous disposions d’un dépôt de bus où je trouvais toute la logistique nécessaire.
Parlez-nous de votre première voiture.
C’est en deuxième année secondaire que j’ai acheté ma première voiture, une Fiat 600, pour la modique somme de 500 DH. Mais pour moi le rêve, c’était l’Abarth. Donc, je me suis employé à transformer ma caisse pour lui donner l’air de ma voiture préférée. J’ai ainsi mis un radiateur à l’avant, j’ai remplacé ses sièges par ceux de la Fiat 850 et j’ai également changé le tableau de bord. En accédant au lycée, j’ai commencé à développer de l’intérêt pour la moto. Avec des coopérants, on faisait des virées dans l’arrière-pays. J’ai également fait de la compétition en participant à l’Enduro des sables entre Agadir et Aglou. Par ailleurs, je pratiquais des sports de glisse tels que la planche à voile.
Cela signifie-t-il que vous avez viré de bord ?
Absolument pas. Mon intérêt pour les voitures est resté intact. Je dirais même qu’il a gagné en ampleur. À cet âge déjà, mon entourage connaissait ma passion et, par conséquent, on venait souvent vers moi pour me proposer des caisses. Un jour, quelqu’un m’a avisé de l’existence d’une Citroën Traction chez un Européen à Agadir. C’était une traction 11B, de 1953, abandonnée à l’état d’épave. J’ai dû utiliser toutes mes économies et solliciter l’aide de mon frère pour payer les 1300 DH demandés. Pour la restaurer, à part la sellerie, que j’ai sous-traitée, j’ai tout refait moi-même : peinture, mécanique, électricité. Durant la période du lycée, c’était ma voiture de tous les jours. Quand j’ai eu mon bac, j’ai fait une virée à son volant qui m’a conduit jusqu’à Ceuta. En partant en France, je l’ai gardée, et quand je revenais au Maroc, en été, je la ressortais. Dans le temps, un Allemand m’a proposé de l’échanger contre une Mercedes 200 diesel, mais je n’ai pas accepté. D’abord, parce que j’étais très attaché à cette voiture, ensuite, parce que Mercedes ne me branchait pas, c’était une voiture plus indiquée pour mon père. En cinquième, mes profs de maths et de technique m’ont conseillé d’opter pour la filière technique. Mais comme la plupart de mes camarades ont choisi médecine, je leur ai emboîté le pas. Mais rapidement, je me suis senti mal à l’aise. Donc, je me suis réorienté vers le technique. Ainsi, j’ai suivi en France un cursus sanctionné par un diplôme d’ingénieur en construction mécanique doublé d’un DESS de l’IAE de Lille. Ma passion pour la mécanique m’a permis d’arrondir mes fins de mois en bricolant les voitures des camarades et des copains. J’ai surtout bien cerné la mécanique de la 2 CV qui n’avait plus aucun secret pour moi. Par la suite, j’ai acheté une Mini Austin, à 300 francs, avec laquelle j’ai passé deux ans avant de la revendre. Et j’ai acheté par la suite une 2 CV dont je n’ai remplacé que le radiateur qui était fatigué. Je suis rentré à son volant au Maroc pour passer mes vacances d’été. Ma dernière voiture en France a été une BMW 318 i deux portes que j’ai ramenée au Maroc lors de mon retour définitif, en 1986.
À votre retour au bercail, avez-vous continué à cultiver votre passion ?
À mon retour, j’ai pris les rênes de l’entreprise familiale qui opère essentiellement dans le bâtiment. Je suis parti du constat que les Européens arrivaient à faire travailler des étrangers dans des usines de construction de voitures malgré la barrière de la langue et de la culture. Donc, je suis arrivé à la conclusion que le problème chez nous résidait dans le management. J’ai changé par conséquent mon approche et cela m’a permis de résoudre pas mal de problèmes. Je me suis également permis de mécaniser à fond l’entreprise tout en ne nourrissant aucune appréhension car j’étais capable de réparer n’importe quelle machine. Dans le bâtiment, le ratio main-d’œuvre/ chiffre d’affaires est de 30 à 40%. Grâce au changement d’approche, j’ai pu ramener ce ratio à 10% et la différence, je l’ai investie pour doper la performance de mon entreprise. Aujourd’hui, ma grande fierté est le fait que l’entreprise a franchi la barre des 1000 employés dont plus de 80 % sont des agents de maîtrise.
Comment avez-vous déniché les pièces de votre collection ?
J’ai trouvé la Ford Galaxy par hasard, sur la route, entre Agadir et Taroudant. Je l’ai achetée à 28 000 DH, en 1990. C’est un modèle de 1964, mais qui était très bien entretenu. On avait une voiture semblable dans la famille et comme j’ai rêvé de la conduire étant enfant, je l’ai achetée. L’Alfa Romeo GTV appartenait à une pharmacienne à Agadir qui ne l’a pas beaucoup utilisée. Elle n’avait que 5000 km. Cette voiture de 1976 était presque neuve. À l’époque, les pharmaciens d’Agadir avaient de belles voitures : Jaguar MKI- Triumph TR3 et TR4, Ford Mustang… La Citroën DS, je l’ai récupérée chez un ami. C’est un modèle de 1964, mais qui était à l’état d’épave. En l’achetant, j’ai rendu service à mon ami qui voulait s’en débarrasser (rires), et je me suis fait plaisir, car je décompressais en travaillant à la remettre en bon état. Quant à l’Alpine, qui date de 1986, elle appartenait à un imprimeur du nom de Meyer qui l’a offerte à sa femme à l’occasion de son 70e anniversaire. Ses filles sont venues de France pour la vendre et lui ne voulait pas. Il prétendait avoir perdu la carte grise. Quand je l’ai rencontré et que je lui ai expliqué que j’étais un passionné, il a accepté de me la céder. Enfin, la Jaguar XJ est un modèle de 1976. Je l’ai achetée en 2010, chez un ami également collectionneur. Je rêvais d’avoir une Jaguar car on avait un voisin, à Agadir, qui n’avait que des Jaguar. En faisant cette acquisition, j’ai réalisé un vieux rêve d’enfance.
Comment procédez-vous à la restauration de vos voitures ?
Avant, c’était très compliqué car je n’avais pas suffisamment de dextérité pour intervenir sur une voiture sans commettre de bévue. Pour la Traction, par exemple, j’ai tout démonté, mais quand j’ai fini, j’ai cassé la boîte à vitesses. Et pour la réparer, c’était difficile, parce qu’il fallait un outillage spécial que je n’ai pas réussi à avoir. Tout le monde m’a dit que je n’allais pas m’en sortir. Mais mon plaisir, c’est de démonter la voiture pièce par pièce et de la réparer ! Donc, j’ai monté une boîte de vitesses de DS 19 à quatre vitesses. C’était compliqué, mais cela m’a fait gagner des chevaux et un agrément de conduite supérieur. D’ailleurs, j’ai rencontré par la suite des Hollandais qui avaient des tractions avec une boîte à quatre vitesses. Ils étaient impressionnés quand ils ont appris que j’avais effectué cette modification longtemps avant eux. S’agissant de ma façon de travailler, je suis solitaire. Je préfère réparer mes voitures tout seul. Mais si j’arrive à m’en sortir si bien, c’est grâce à ma polyvalence. Pour la Traction, sa restauration m’a pris deux étés. L’Alpine V6 GT avait également un problème de starter que j’ai rapidement réglé. Pour ce qui est des pièces, je connais quelques adresses de vendeurs à Agadir. Leurs stocks proviennent des importateurs de voitures qui ont fermé boutique. De plus, il m’arrive de chercher des pièces chez des collègues collectionneurs membres du club d’Agadir.
Ah ! Parce que vous avez un club à Agadir ?
Après une première et une deuxième tentative, nous avons pu former un club. La toile de fond du club est la passion automobile et la solidarité avec ceux qui ne disposent pas de bagnoles. Ainsi, ces derniers ont pu faire des virées grâce aux voitures mises à leur disposition. Aujourd’hui, nous avons un retour sur investissement puisque nous avons une quarantaine de voitures en bon état. De plus, le club est un cadre où nous échangeons nos idées et où nous partageons notre passion pour l’automobile en organisant des sorties.
Que représente pour vous le Rallye Classic du Maroc ?
Je me suis inscrit à ce rallye en 2001, en compagnie d’un ami. Mais j’ai eu un problème et je n’y ai pas participé. Je suis un perfectionniste, mais je n’ai pas l’esprit de la compétition. J’apprécie ce rallye parce que chaque chose qui met en exergue notre pays est la bienvenue. J’ai par ailleurs été invité par un ami italien à participer au volant d’une DS Chaperon à la célèbre course de San Remo, mais des contraintes m’ont empêché de répondre à cette invitation.
Les collectionneurs sont en butte à des problèmes liés à la visite technique, l’assurance…
Certes, les collectionneurs rencontrent quelques problèmes, mais il y a toujours possibilité de les discuter avec les autorités. Les portes ne sont pas aussi fermées qu’on le croit. Au moins, dans notre pays, nous avons le droit de circuler librement avec nos anciennes voitures, ce qui n’est pas le cas en Europe. Pour ce qui est de l’assurance, je crois qu’il faut s’asseoir avec les assureurs afin de trouver une offre adaptée.
Avez-vous déjà songé à importer une voiture de collection de l’étranger ?
Je ne suis pas vraiment pour l’idée d’importer des voitures de collection de l’étranger. Je pense qu’il faut plutôt valoriser notre patrimoine. Au Maroc, il y avait plus de concessions Ferrari qu’à Paris. Et nous avions plus de voitures de valeur qu’en Europe au moment de la guerre.
Que pensez-vous de l’idée de constituer un club pour faire entendre la voix des collectionneurs ?
C’est un projet qui tente les collectionneurs. Mais pour l’instant, il n’y a rien de concret. J’espère que ce projet aboutira un jour.
Quelle est la voiture qui était à votre portée et que vous regrettez aujourd’hui de n’avoir pas achetée ?
J’ai toujours rêvé de posséder une Jaguar Type E. Mon oncle ferrailleur en avait une de 1977. Elle était en bon état. Mais ce qui m’a franchement rebuté, c’est le volant à droite. En plus, à l’époque, j’avais d’autres priorités. Le moment n’était pas du tout opportun pour un tel achat parce qu’il coïncidait avec mon voyage d’études en France.
Vos enfants sont-ils aussi passionnés que vous ?
Mes enfants sont passionnés par l’automobile. L’aîné, qui poursuit ses études à l’université Al Akhawayne, économise son argent de poche pour tuner mes voitures. Les temps changent et les jeunes d’aujourd’hui ont une autre conception du rapport à l’automobile. Quant au cadet, son jeu favori sur Internet est d’acheter, vendre, échanger et transformer des voitures. À son âge, il connaît déjà beaucoup de marques de voitures.